Tous
mes amis savent plus ou moins que j’ai souffert – et souffre d’ailleurs encore
sous une forme beaucoup plus larvée – de troubles
obsessionnels compulsifs : les fameux TOC. Je n’ai aucune idée de leur
origine et ne sais pas plus pourquoi certains disparurent presque du jour au
lendemain (sans doute un psychiatre me serait-il d’une aide quelconque dans la
compréhension du phénomène, mais peu importe). Ce que je sais par contre très
bien, c’est quelle était leur nature et dans quel périmètre de ma vie ils
s’exerçaient.
Il
y en avait de plusieurs sortes.
C’est
très amusant aujourd’hui de les lister, surtout après avoir été consulter une
liste des symptômes que l’on relève généralement chez les "TOCqués"
(si vous me permettez l’expression) et après s’être rendu compte que je rentre
totalement à l’intérieur de certaines descriptions et pas du tout dans
d’autres.
Vous
allez voir, c’est poilant !
Enfin,
poilant, ça dépend pour qui.
Sans
doute le jeune Hamilton trouvait-il la chose beaucoup moins
"poilante" quand, après avoir touché 32 fois (c’est un nombre exact
et pas du tout une estimation) la clé de la porte de sa chambre avant de
dormir, l’anneau de ladite clé avait fait une subtile rotation d’un degré vers
la droite ou vers la gauche et n’était donc du coup plus du tout
parallèle au sol, forçant le pauvre adolescent à tout recommencer, dans un
soupir intérieur crispé.
Je
vous rassure, je ne fais plus ça désormais.
Il
ne me reste plus que quelques simples reliquats du mal : une manie persistante
liée aux chiffres 8 et 6, quelques TOC de vérification sans gravité ainsi que
des envies ponctuelles de symétrie et de lancer de chats.
Rien
de comparable à ce que je subissais quand j’avais quatorze ans, ni même vingt.
Dans
les émissions traitant des TOC (ce genre d’émission revient de manière cyclique
à la TV : ça
fait toujours bien rire les téléspectateurs – enfin, surtout ceux qui n'ont pas de TOC), on est souvent confronté au cas du personnage
atteint d’une forme sévère du TOC de propreté. Il se nettoie constamment les
mains. Pour fermer le robinet, il doit utiliser ses mains, donc forcément les
(re)salir… Chaîne sans fin qui le pousse à utiliser ses coudes pour couper
l’eau et ainsi garder ses mains immaculées. Je n’ai jamais souffert d’un pareil
truc. J’adore être propre, mais ça n’a jamais été une obsession au point de me
laver tous les quarts d’heure... Enfin, j’aime bien être propre quand même.
Mais bon...
Bref.
Je
suis plus proche d’un autre cas d’école, que vous connaissez sans doute déjà :
celui, ultra-classique, du gars qui va vérifier constamment que sa porte est
bien fermée. Une fois éloigné de celle-ci, même s’il est certain qu’il
vient de faire à plusieurs reprises le geste de vérification consistant à tourner la clé jusque dans ses derniers
retranchements, il repartira quand même vérifier que sa porte est bien fermée.
J’ai eu ce TOC, à différents moments de ma vie, pour les portes d’entrée, les
prises électriques, l’eau, le gaz et les sources de chaleur. Étudiant, si
je me faisais un café, je devais constamment vérifier que j’avais éteint le
percolateur, que j’avais débranché la prise et que plus rien ne chauffait.
Comprenez bien : je n’étais pas débile au point de croire que le perco
avait la moindre chance d’être encore allumé. C’était rationnellement
impossible. Mais je le faisais quand même. Quand une prise électrique devait
absolument rester branchée (une horreur à mes yeux, mais c’était indispensable
pour des objets comme l’ordinateur ou le frigo), je poussais la prise mâle de
toutes mes forces pour être certain que ses broches étaient bien insérées dans
son équivalent femelle (peut-être était-ce dû à un désordre sexuel
sous-jacent ? Naaaaan...). Évidemment qu’elles l’étaient, c’était une
prise électrique.
Vous
allez me dire : "Bah, oui, beaucoup de gens ont ça, c’est très
léger". Peut-être, mais à ces multiples TOC de vérification, somme toute
assez banals, étaient juxtaposés non seulement un TOC de symétrie mais aussi une
certaine forme d’arithmomanie.
En
fait, ces trois TOC différents se confondaient en un TOC unique…
Vous
allez voir, c’est poilant !
Enfin,
poilant, ça dépend pour qui.
On
va commencer avec deux exemples de symétrie.
Quand je vivais chez mes parents, le sol de ma chambre était en parquet. Avant
de dormir, il fallait que mes pantoufles soient parfaitement alignées
aux lignes du parquet et qu’elles soient coupées exactement en leur milieu par
une de ces lignes. Le livre ou la
BD que je lisais devaient être alignés exactement de la même
manière. En fait, tout objet posé au pied de mon lit devait respecter un
ordre, une symétrie. Comme ceci :
Quand
à la porte de ma chambre, il fallait que l’anneau de la clé qui se trouvait
dans la serrure (qui ne servait à rien vu que je ne fermais pas ma chambre à
clé) soit parallèle au sol. Quand je dis "parallèle", ce n’est pas
"plus ou moins parallèle" : c’est exactement parallèle. C’est quelque chose qui est difficilement
vérifiable, mais que je prenais le temps de vérifier chaque soir, en prenant
différents angles de vue. Si l’anneau était perpendiculaire, ça n’allait pas
car la clé (une vieille clé de porte) avait tendance à pencher un peu, comme si
elle allait tomber. Si l’anneau n’était pas droit, je ne pouvais pas dormir du
tout (parfois je rallumais la lumière pour vérifier – ce qui avait une autre
conséquence, comme vous allez le voir plus loin).
C’était
comme ça pour beaucoup de chose, mais pas pour tout. Certains objets pouvaient
être en désordre le plus total sans que ça ne me fasse souffrir le moins du
monde. Aujourd’hui, quand j’aligne (parfois pour faire rire mes amis, parfois
de manière totalement inconsciente, ce qui est plus inquiétant) des objets sur
une table, c’est du même ordre et ça vient de là.
Quant
à l’arithmomanie, c’est un peu
différent : en gros, ça consiste à faire des calculs inutiles mais
néanmoins indispensables. Dans sa forme sévère, l’arithmomane va compter tout ce qui lui passe sous les yeux mais
aussi faire une série de calculs sans intérêt pratique immédiat. Du genre
compter le nombre de marches qu’il y a avant d’arriver en haut de Mont Hua (arithmomanie
extérieure, qui joue sur l’environnement). Ou compter les lettres de certains
mots (ma mère est comme ça : vous lui dites un mot et elle est capable de
vous sortir très rapidement le nombre de lettres qu’il contient). Ou encore
faire des équations mentales (arithmomanie intérieure). Ou encore compter le
nombre de scouts composant un wagon.
Pour ma part, à ce niveau, mon gros problème était
un problème de chiffres et de comptage. Je ne voulais pas (et ne veux toujours pas
dans certains cas) entendre parler du chiffre 6. À l’inverse, je voulais
constamment placer le chiffre 8 dans tout. J’ai eu aussi une phase "Je
divise un nombre par deux le plus loin possible" mais je l’ai
rapidement maîtrisée, celle-là...
Alors que les chiffres 8 et 6, c’est une autre
histoire.
Vous allez voir, c’est poilant.
Enfin,
poilant, ça dépend pour qui.
Le
principe de mon arithmomanie personnelle est somme toute très simple (pourtant,
de nombreuses personnes me prennent pour un taré quand je leur explique) :
tout doit aller par 8 mais jamais par 6.
8, 16, 32, 40, etc. sont de très beaux nombres, mais pas 24 ni 48 car, malgré
le fait qu’ils sont des multiples de 8, ils sont également multiples de
6 ! Les nombres 12, 18, 24, 30, 36, etc. sont forcément également à
bannir.
Là
où ça devenait un joyeux bordel, c’est quand ce TOC se mélangeait aux autres.
Quand je mettais mes pantoufles parallèles au parquet, au pied de mon lit, il
fallait que je les touche 8 fois... Si je n’étais pas certain du compte, je
devais aller jusqu’à 16, puis 32, etc. Idem pour la clé de la porte de ma
chambre : je devais la toucher 8 fois après l’avoir mise bien parallèle
(avec la question existentielle : "Vu que je l’ai déjà touchée pour
la mettre droite, est-ce que je dois la toucher seulement 7 fois ou bien je
recommence à 0 ?"). Si je rallumais la lampe la nuit pour faire une
vérification, je devais l’allumer et l’éteindre 8 fois de suite. Si j’avais un
doute sur l’enfoncement d’une prise, je devais la toucher 8 fois. Il fut un
temps où je comptais tout par huit, où je ne pouvais arrêter la lecture d’un
livre qu’à une page multiple de 8 et non de 6, etc. C’est encore le cas
maintenant, d’ailleurs, où je ne tiens pas compte des chapitres pour arrêter
une lecture, mais seulement du numéro de page.
J’avais
également un système de comptage par 8 pour les heures de réveil. Je pouvais me
réveiller à 6h16 (oui, oui) parce que 6x60 minutes + 16 minutes font 376
minutes, soit un multiple de 8 et mais pas de 6. Ou bien à 7h44 car cela
faisait 464 minutes, encore un multiple de 8 et non de 6. Il était hors de question de me
lever à 8h42 par exemple... Mais c’était très simple à gérer, en fait : aux heures paires, je ne
pouvais me lever qu’à l’heure plus 8, 16, 32, 40 ou 56 minutes. À l’heure
impaire, à l’heure plus 4, 20, 28, 44 ou 52 minutes. Quand je dis
"j’avais", je mens un peu, voire beaucoup. Actuellement, la semaine,
mon premier réveil sonne à 6h32 et le second à 6h56. Hem, et quand je m’en vais
d'une soirée, la plupart du temps, je regarde si, à tout le moins, nous ne
sommes pas dans le cas d'un multiple de 6. Tout ceci est expliqué dans le schéma
ci-dessous :
Aujourd’hui,
tout ça est un peu passé...
Sauf
pour les heures.
Et
pour le comptage de certaines choses.
Et
pour la symétrie.
Et
pour la fermeture de certains trucs.
D’ailleurs,
est-ce que j’ai bien éteint la lampe de ma salle de bain ce matin ?
Mieux
vaut en rire.