lundi 26 septembre 2011

Le journal d'Hamilton

Le Blog du Noctambule est un peu mort, non ? 
Oui, de fait, il est un peu mort. 
Je pense qu'il est même totalement mort...

J'étais jeune à l'époque, je cherchais encore un moyen d'expression ad hoc (comme le capitaine)... Je croyais le trouver en me fixant un canevas très strict fait de pièces d'échecs qui auraient chacune eu leur petit rôle à jouer, leur style propre... Mais non : ça ne me convenait pas. Ce qui me convient le mieux, c'est d'écrire au contraire sans trop réfléchir, sans plan préétabli. 

En bref : tout ce que j'écris ici, je peux l'écrire autre part, avec beaucoup plus de naturel. C'est ce que je fais sur le blog suivant, mis à jour quotidiennement ou presque, depuis des mois :

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir
sur ma vie, mon univers et le reste*

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* Oui, c'est très prétentieux, mais c'est de l'humour, hein...

jeudi 7 juillet 2011

[SÉRIE] "The Wire" : partie d’échecs en cinq saisons


Et voilà ! Peter Falk, alias Columbo, est décédé ce jeudi 23 juin. Ne reste plus aujourd’hui que le souvenir des soirées TV de mon enfance, lorsque je regardais avec ma maman le pauvre et faussement naïf lieutenant démonter psychologiquement le "méchant" milliardaire/génie/artiste (biffez les mentions inutiles) qui avait tué sa femme/son associé/son frère (idem), pour une bête question de jalousie/d’argent/de pouvoir.

Malgré son aspect novateur quant au déroulement de l’intrigue (comme la connaissance du coupable dès le début de l’épisode ou la mise en avant de la confrontation entre l’enquêteur et l’assassin, à l’instar d’une partie d’échecs [1]), cette série policière restait traditionnelle à bien des égards. Ainsi, chaque épisode de Columbo constituait une unité indépendante du reste, avec un déroulement identique (vil assassinat, arrivée de l’honnête lieutenant, duel avec le meurtrier, collecte de preuves, "coup de grâce" final...).

Des détectives comme Columbo, Hercule Poirot, Miss Marple, Derrick (oui, oui), Barnaby (beurk), Monk ou l’ignoooble Jessica Fletcher ne sont pas des êtres humains. Ce sont des machines à résoudre des énigmes : ils sont autant d’incarnations de la soif de justice, de la victoire du Bien contre le Mal. Ce sont des robots qui collectent le moindre bout de peau ou de cendre compromettant ; des demi-dieux qui voient tout, qui comprennent tout, qui ne font aucune erreur. Le meurtrier, même avec ses 178 de QI et son perfectionnisme hors pair, n’a aucune chance face à ces individus faussement ordinaires.

Et si ce n’était pas toujours le cas ? Et si les détectives étaient capables d’erreurs, parfois irréparables ? Et si les assassins, de temps en temps, s’en sortaient ? Et si une série policière n’était pas une succession d’épisodes sans aucun lien entre eux (à l’exception de détails sans réelle importance, comme la femme invisible, le chien ou l’imperméable) ?

Montrer des inspecteurs de police "humains", avec leurs défauts et leurs problèmes, voilà ce que proposait la série américaine Homicide: Life on the Street, diffusée dans les années nonante (1993-1999) sur NBC (et sur la RTBF en Belgique) et dont personne (ou presque) ne semble se souvenir. Lorsque j’étais à l’université et fan de cette saga policière, mon colocataire, étudiant en génie civil de son état, s’en moquait gentiment : "tout ce qu’on entend dans Homicide", disait-il, "c’est le bruit des téléphones de la section criminelle : tuduludulu... tuduludulu...".

C’est vrai qu’on les entendait beaucoup, ces téléphones, mais c’est oublier tout ce que la série proposait, en dehors des sonneries : des enquêtes au long cours (sur une saison, voire plus), des policiers qui se prennent des balles dans la tête, d’autres qui se suicident (!), des enquêtes qui n’aboutissent pas, des querelles internes ou hiérarchiques, des bavures, des erreurs, des détectives à la psychologie haute en couleur, un humour assez noir, une réflexion sur la société et une vision réaliste des rues pauvres de Baltimore, une ville de la côte Est des États-Unis, au taux de criminalité très élevé, située à une heure de route à peine de Washington... Le tout était filmé caméra à l’épaule et au format vidéo, renforçant le côté brut, réel – presque documentaire – de la série.

[VIDÉO] Le générique de Homicide (souvenirs, souvenirs...) :


C’est dans Homicide qu’apparaît pour la première fois le personnage complexe et attachant de John Munch, détective ironique interprété par Richard Belzer qui – chose rare dans l’histoire des feuilletons policiers – sera "réutilisé" avec la même biographie dans de nombreuses séries, soit en tant que personnage récurrent (comme dans Law & Order: Special Victims Unit ; New York : Unité spéciale en français), soit sous forme de cross-over (on retrouve ainsi Munch dans... un X-Files se déroulant à Baltimore !). Les autres policiers de la série sont tout aussi magistraux : Al Giardello, le grand Noir imposant (magistralement joué par Yaphet Kotto) qui dirige la section criminelle ; Frank Pembleton, un type sûr de lui, arrogant, très à cheval sur sa morale et ses principes ; son coéquipier Tim Bayliss, dont la carrière sera à jamais hantée par sa toute première affaire à la section criminelle (le viol et le meutre de la jeune Adena Watson), qu’il n’arrivera jamais à élucider (!) ; etc.

Si cette série s’est révèlée si originale et si "réelle" par rapport aux séries plus "classiques" de la même époque, c’est en partie parce qu’elle est tirée de l’expérience de David Simon, un reporter du Baltimore Sun qui a suivi pendant un an les inspecteurs de la section des homicides et qui en a tiré un bouquin intitulé Homicide: A Year on the Killing Streets (dans la série, les noms changent mais les situations, les meurtres et les personnalités reposent en grande partie sur des faits réels).

Je croyais avoir trouvé avec Homicide la série policière absolue... Jusqu’à ce que je découvre (et dévore) sa petite sœur (ou cousine ?) intitulée The Wire (Sur écoute en français, 2002-2008). The Wire, c’est un peu comme Homicide : une série policière tirée du bouquin de David Simon, se déroulant à Baltimore et inspirée par des personnes et des situations bien réelles. Pour l’anecdote, les deux séries reprennent d’ailleurs exactement la même scène hilarante : celle (apparemment véridique !) d’inspecteurs qui parviennent à récolter les aveux d’un suspect en faisant passer une bête photocopieuse pour un détecteur de mensonges (avec cette superbe conclusion de l’inspecteur "Bunk" Moreland dans The Wire : "The bigger the lie, the more they believe").

[VIDÉO] La scène de la photocopieuse, version Homicide


[VIDÉO] La "même scène", version The Wire



À la différence de Homicide, The Wire est la propre série de David Simon. C’est également une production estampillée HBO, la chaîne de télévision états-unienne à l’origine des formidables Six Feet Under, The Sopranos, Deadwood et Rome, ce qui est déjà un gage de qualité en tant que tel. Depuis de nombreuses années, la chaîne câblée a en effet pris pour habitude d’être très exigente sur la qualité de ses productions et de se démarquer par des intrigues en béton, des scénarios de très haute qualité et des moyens financiers dignes de l’industrie cinématographique.


The Wire propose de suivre, en trame de fond, les enquêtes au long cours d’une sorte de division spéciale anti-gang, dont les membres viennent de différentes sections de la police de Baltimore (comme la police criminelle – la fameuse section "Homicide" – ou les narcotiques). Le titre de la série fait directement référence aux écoutes (téléphoniques entre autres) mises en place par ladite division, mais pas seulement : "the wire" en anglais signifie "le fil". Ce fil, au-delà du concept de mise sur écoute, est également le symbole simple mais efficace des liens qui unissent les différents pouvoirs structurant la cité (terme à prendre ici presque au sens "grec" du terme). Un fil d’Ariane, en quelque sorte.

Car The Wire n’est pas un simple show policier, c’est une tragédie [2] aux ambitions démesurées pour un feuilleton télévisuel : celles de peindre un tableau le plus réaliste possible d’une grande ville (Baltimore donc), avec sa population, ses institutions, ses lieux, ses structures complexes... The Wire met en parallèle différents niveaux de "pouvoir", tels que la rue (avec ses paumés qui essayent de survivre et les empires de la drogue qui luttent pour le contrôle des quartiers), la justice (les services de police et les tribunaux), les politiques, l’école, les médias...

Pour concrétiser ces hautes ambitions, les scénaristes de The Wire ont pris pour démarche de décrire toutes ces structures de manière détaillée. Dans The Wire, le survol n’existe pas. Là où d’autres séries ne proposent que la vision policière en négligeant les autres organisations, The Wire multiplie les points de vue à en donner le tournis (la série n'est pas facile d'accès au début). Durant la première saison, la caméra passe ainsi presque autant de temps à filmer "la rue" – du petit dealer jusqu’au sommet de l’association de malfaiteurs – que la police.

Il n’y a pas vraiment de héros principal dans The Wire, si ce n’est peut-être Baltimore elle-même (ce que suggérerait d’ailleurs le tout dernier épisode, qui se termine de manière grandiose avec une série de panoramas de la ville). La série se décompose en cinq saisons, chaque saison se focalisant sur un ensemble thématique particulier, un nouveau point de vue (un "arc"). Ces cinq ensembles sont, dans l’ordre des saisons, la lutte contre une organisation de trafic de drogue (la famille Barksdale) ; les docks, le port de Baltimore et sa connexion avec l’approvisionnement de la drogue ; la politique et les élections au mayorat ; l’école et le système scolaire ; enfin, les médias (à travers le cas du Baltimore Sun). Tous ces thèmes se mélangent avec brio dans une sorte de puzzle géant, un "super-ensemble" aux portes d’entrée multiples, proposant plusieurs grilles de lecture.

The Wire possède l’habilité de balayer les stéréotypes d’un revers de caméra, notamment en ce qui concerne les dealers. Ainsi, durant la première saison, on peut suivre avec un rien d’étonnement Stringer Bell, le bras droit d’un des rois de la drogue, à un cours universitaire de macro-économie (sur l’élasticité de la demande d’un produit, concept qu’il utilise d’ailleurs par la suite dans son "business") ; ou bien encore D’Angelo Barksdale, un des chefs de rue, expliquer à ses dealers comment jouer aux échecs, tout en faisant une comparaison géniale avec le monde de la drogue (!) : "Le roi reste le roi", "Les pions se font vite dégommer" – "sauf s’ils sont malins"... 

[VIDÉO] La partie d'échecs


Cet extrait résume à merveille une des visions récurrentes proposées par The Wire (et qu’il est très rare de trouver dans une série télévisée) : chacune des structures de la ville (la police, les gangs, les politiques, les docks, l’école, les journaux) possède, comme dans une partie d’échecs, sa propre hiérarchie, ses propres principes de survie, ses propres règles du jeu (le trafic de drogue est d’ailleurs souvent nommé "the game" dans la série). Pour compliquer encore un peu plus le tableau, chaque structure possède des liens avec les autres (l’argent de la drogue, par exemple, se retrouve partout).

La série est également d’une très grande profondeur sur le plan de la critique sociale. Chaque épisode montre avec beaucoup de finesse les travers de la société occidentale contemporaine, sans tomber dans la condamnation sans nuance. Un des plus beaux exemples est celui de Bubbles, un chic type totalement paumé, dépendant à l’héroïne, de temps à autre indic pour la police, dont on suit la trajectoire erratique durant la totalité des cinq saisons. Ses rencontres, ses tentatives pour s’en sortir, ses chutes, ses rétablissements et ses rechutes en disent long sur la faillite du système de protection sociale. Si Bubbles s’en sort, après un très long calvaire, c’est plus grâce à une certaine force personnelle et avec l’aide de quelques amis que grâce à une quelconque solidarité institutionnelle. Dans la deuxième saison, la série met l’accent sur les dockers et là encore, le constat est rude : les ouvriers du port sont presque abandonnés à leurs sorts par les pouvoirs publics et doivent se démener (y compris en trempant dans des opérations illégales) pour survivre. La troisième saison montre un projet-test totalement fou (pour les États-Unis du moins) de dépénalisation de la drogue. L’initiateur de ce projet est Howard "Bunny" Colvin, un commandant de police sur le départ qui décide, de sa propre initiative et sans en avertir ses supérieurs, de centraliser les activités de vente de drogues dans un petit secteur de la ville (renommé Hamsterdam) où les policiers n’interviennent pas, dans le but d’améliorer la sécurité et la convivialité des autres quartiers. Comme on s’en doute, le projet tombera finalement à l'eau, dans une scène épique où le commissaire-adjoint William Rawls, un brin mégalomane, décide d’envoyer ses troupes dans Hamsterdam, sur l’air de la Chevauchée des Walkyries (!). La quatrième saison pose quant à elle la question de l’échec d’une partie du système éducatif américain (qui ne fait que reproduire, dans la plupart des cas, les inégalités présentes en dehors de ses murs). La cinquième et dernière saison, enfin, montre comment un grand journal d’investigation fait de plus en plus la part belle au populisme et à la non-vérification des faits, dans un but purement mercantile. Le constat est cinglant (et logique) : il est impossible de faire plus avec moins de moyens, du moins sans faire baisser drastiquement la qualité du journal.

Enfin, au cœur de The Wire, il y a une série de personnages complexes et originaux, comme le fameux Lester Freamon, inspecteur de police très doué, d’une intelligence rare, d’une incroyable patience et d’une "économie de mouvements" totalement hallucinante. Freamon est resté 13 ans et 4 mois à faire un travail de bureau (au service des prêteurs sur gage), comme "punition" après avoir obligé un politicien à témoigner dans une affaire de meurtre, contre les ordres de ses supérieurs. Il passe en outre la majeure partie de son temps à réaliser des meubles anciens pour maison de poupée, destinés à la revente, mais à chaque fois qu’il quitte son bureau, c’est pour faire avancer l’enquête d’un pas de géant.

[VIDÉO] Lester Freamon (à gauche) et "Bunk" interrogeant des témoins ne parlant pas anglais (avec la terrible réplique : "Eh! Negro, you can not travel half way around the world and not speak any motherfuckin' English!") :


Autre personnage fabuleux : Omar Little, sorte d’anti-héros hors-la-loi au code moral très strict : il ne prononce aucun gros mot et ne vole et ne tue que ceux qui font partie du "jeu". "Son métier" : voler les dealers. Il parcourt les rues à la manière d’un outlaw de western, avec son long manteau et son inséparable fusil de chasse, sifflotant calmement "Le fermier dans son pré". Omar est aussi un des quelques personnages homosexuels de la série. Vous allez me dire : "on s’en fout un peu"... Sauf qu’encore une fois, les scénaristes ont évité tous les écueils scénaristiques possibles quant à la figure du gangster gay.

[VIDÉO] Quand Omar Little arrive, tout le monde se barre (on se croirait vraiment dans un western) :


Si je ne devais citer que deux personnages de The Wire, ce serait ces deux-là, mais il en existe des centaines d’autres, tels Brother Mouzone, un tueur professionnel au calme affolant, spécialiste des armes, toujours bien sapé (belles lunettes et nœud papillon), s’exprimant avec une politesse et une précision extrêmes (à l’inverse de l’image du tueur brutal) ; Roland Pryzbylewski dit "Prez", qui apparaît au début de la série comme un incapable pistonné par son beau-père, et qui se révèle plus tard très doué en mathématique et parfait déchiffreur de codes ; Jimmy McNulty, caricature du "bon" flic, tête brûlée, alcoolique et indiscipliné ; ou encore Marlo Stanfield, un dealer ambitieux, placide, amoral et très violent qui s’est donné pour but de devenir le prince de la drogue à Baltimore... Marlo Stanfield ne se déplace presque pas : il économise ses gestes et ses mouvements, comme un roi. Encore une référence au jeu d’échecs, parmi des dizaines.

Pour en savoir plus...
 

- Outre la série en elle-même, pour les pointilleux, je vous conseille les articles consacrés à The Wire sur Wikipédia anglophone, qui sont d’une qualité exceptionnelle, rarement atteinte sur cette encyclopédie : tout y est détaillé, épisode par épisode, avec une page pour chacun des personnages principaux.
- Les pages consacrées à The Wire sur le site de HBO.

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[1] À noter qu’un des épisodes de la seconde saison de Columbo, The Most Dangerous Match (1973), met en scène le meurtre d’un joueur d’échecs par son adversaire.
[2] Voir pour s’en convaincre le très bon article de Mona Chollet paru sur un des blogs du Monde Diplomatique, au titre évocateur : "Shakespeare à Baltimore".

vendredi 20 mai 2011

[HUMEUR] Dieu, l’Univers et moi : réflexions en vrac sur l’athéisme, l’infini, le fatalisme et la perception du réel


Bigre, vous êtes encore là après un titre aussi prétentieux ?

Athéisme

Durant mes premières années d’université, j’ai eu l’insigne honneur de suivre quelques cours d’histoire moderne professés par Sa Très Haute Magnificence l’Abbé Hersquin (je ne suis plus vraiment certain de l’orthographe de son nom, ni de son titre d’ailleurs). Le gaillard n’était pas du tout de ma couleur politique mais qu’importe après tout : c’était un excellent orateur et un très bon professeur.

Le Sieur Hersquin aimait marquer son auditoire en utilisant des phrases chocs. L’une d’entre elles ressemblait à ceci : le discours de l’athée, Mesdames-z-é-Messieurs, en énonçant sa certitude de la non-existence d’un dieu, rejoint en certains points la foi du théiste. Ce n’est certes pas sa phrase exacte (sauf, sans doute, pour le "Mesdames-z-é-Messieurs") mais je pense – en tout cas j’espère – ne pas avoir déformé le fond de Sa Sérénissime Parole.

Je me suis dit que quelque chose clochait dans son discours. Je me considère comme athée depuis... euh... la nuit des temps ? En tout cas depuis que j’ai commencé à réfléchir à la question (6-7 ans, je dirais, au pif) et je ne me suis jamais retrouvé dans sa définition. Pour moi, l’athéisme n’est pas tant la certitude de la non-existence d’un dieu que le refus de laisser une quelconque place – même infime – dans mon existence à un pareil concept métaphysique. Oui, ça n’a l’air de rien comme ça, mais ça fait une sacrée différence !

Il faut également mentionner que je n’ai jamais reçu d’éducation religieuse, ma famille proche étant elle-même très majoritairement athée. "Mon" athéisme n'est donc pas la négation virulente d'un dieu auquel on m'aurait "forcé" de croire (1) et est sans doute très différent de l'athéisme militant d'un adulte qui réfute l'éducation religieuse qu'il a reçue étant enfant.

Au-delà de l’éducation, je me suis souvent demandé ce qui faisait de moi un athée et j’ai forcément trouvé, dans mes lectures et au travers d'une réflexion personnelle, une kyrielle de réponses. On peut par exemple chercher du côté de l’anti-autoritarisme (j’ai du mal avec l’autorité et je déteste sincèrement toute forme de paternalisme : je ne peux donc concevoir qu’un hypothétique dieu, via une quelconque religion, fasse de l’ingérence dans ma vie par des lois restreignant inutilement mes libertés), de la remise en contexte historique (les raisons politiques, morales et sociales derrière toute croyance métaphysique, d’hier comme d’aujourd’hui, sont souvent par trop visibles : cela me fait énormément relativiser le caractère a priori absolu de nombreuses divinités) ou encore du rationalisme critique (ma – néanmoins adorable – collègue de bureau homéopathe m’appelle parfois "monsieur le positiviste" ou encore "le scientiste", ce que je prends pour un compliment, même si elle ne le dit pas toujours dans ce sens).

Il y a par ailleurs un concept que j’adore ruminer la nuit quand je n’arrive pas à dormir : celui de l’argument de la cause première. C’est un des arguments utilisés notamment par les tenants de la religion chrétienne, faisant remonter l’histoire de la vie et de l’univers (et du reste) à une cause unique et primordiale, qui serait Dieu. John Stuart Mill, dans son Autobiography (1873), démontra le paradoxe de l’argument de la cause première, en citant une réflexion de son père : "(...) the question Who made me? cannot be answered, because we have no experience or authentic information from which to answer it; and that any answer only throws the difficulty a step further back, since the question immediately presents itself, Who made God?" (2) 

Autrement dit : l’idée d’un dieu comme origine du monde ne fait que repousser d’un cran la question des origines : si dieu m’a créé, alors qui a créé dieu ? Certains diront que notre univers est trop hiérarchisé, trop "réfléchi" pour se passer d’un architecte initial doté d’une pensée consciente créatrice. Mais ça ne résout rien du tout car, à partir du moment où cette hypothèse est acceptée, une nouvelle question nous force à nous demander quelle est l’origine de cette "première" pensée consciente, et ainsi de suite...

Cette réflexion sur la cause de la cause (de la cause (de la cause (etc.))) m’obsède depuis des lustres car elle constitue une boucle infinie qui me fait prendre horriblement conscience des limites de toute perception humaine. En résumé : il est impossible de jouer avec l’infini sans se griller les neurones à un moment donné.

Infinité

Je me souviens d’ailleurs d’une discussion, il y a quelques mois à mon boulot, sur l’infini. Je ne sais plus pourquoi on en est venu à parler de ça (la plupart du temps, mes collègues parlent de leurs enfants, de leur mère psychopathe, de théâtre, de mignons petits chats, de morts stupides ou encore de leur sainte adoration pour les concombres).

Je me rappelle avoir dit un truc du genre : "si l’univers est réellement infini dans le temps comme dans l’espace, il y doit y avoir une infinité de tout : une infinité de moi, une infinité de nous, une infinité de situations exactement identiques à celle que nous vivons en ce moment, avec les mêmes gens, ayant le même physique (au grain de beauté sur la fesse gauche près), le même cerveau, les mêmes pensées. Il doit également y avoir une infinité de situations presque identiques mais pas vraiment identiques. En outre, si nous sommes dans un monde infini, plus rien n’est original, tout a déjà été fait. Tout a déjà été dit. Et une infinité de fois en plus, bordel de merde !"

La plupart de mes collègues (sauf une) n’étaient globalement pas d’accord (et refusent toujours, je pense, d’être d’accord) avec pareil argument, arguant que même si l’univers était infini, il serait impossible d’atteindre une précision telle qu’une même situation arrive ne fût-ce que deux fois.

Leur raisonnement réside à mon avis dans une incompréhension de ce que recouvre exactement la notion d’infini. C’est quelque chose qui touche à l’absolu et qui est difficilement imaginable pour nos petits cerveaux humains (déjà rien que l’immensité de l’univers est difficilement appréhendable, alors l’infini, hein...). Si l’univers est réellement infini, tout ce qui est possible de s’y dérouler s’est déjà déroulé et se déroulera encore, non pas deux fois, trois fois, mais une infinité de fois : tout a déjà été fait, énoncé, pensé et vécu. Enfin, pour être exact, en termes probabilistes, on dira subtilement que dans pareil cas, tout a presque sûrement (3) déjà été énoncé, pensé et vécu.

Dans un univers infini, il y aurait une infinité de femmes de ma vie (aaaaah !), mais il y aurait aussi une infinité de déception (oh ?) et une infinité de grenouilles (ah !).

Mais qu’est-ce que je raconte ?

Ce n’est évidemment pas moi qui ai inventé cette pensée. Il s’agit d’une vieille réflexion actuellement connue sous le nom de paradoxe du singe savant (ou théorème du singe infini). L’idée est la suivante : un singe tapant durant un temps infini des lettres au hasard sur une machine à écrire pourra presque sûrement écrire exactement un texte donné. Le texte fréquemment cité en exemple est Hamlet de Shakespeare mais ça peut être grosso modo n’importe quoi, de n’importe quel ordre de grandeur, comme l’intégrale des Rougon-Macquart, une bibliothèque entière ou même l’autobiographie illustrée de Horst Tappert si ça vous chante. En fait, quand on a l’infinité devant soi, peu importe la grandeur de ce que l’on veut écrire : la chose finira presque sûrement par être écrite. Le problème qui se posera face à une série infinie de lettres contenant toutes les combinaisons possibles sera d’un tout autre ordre : comment trouver une œuvre (autrement dit : comment trouver du sens) dans un bruit aussi "vaste" qu’une infinité de caractères ?

Le singe éternel est, bien sûr, une simple vue de l’esprit : il symbolise la création d’une suite de lettres de manière aléatoire. C’est d’ailleurs là une assez mauvaise représentation du hasard car un singe utilisant une machine à écrire ne tapera pas sur le clavier aléatoirement. Peut-être d’ailleurs ne fera-t-il rien d’autre que de manger sa banane ou de crier "Ooook" et "Eeeek" toute la journée et tant mieux pour lui ! Mais vu qu’il a l’éternité devant lui, il finira forcément – presque sûrement – par taper une suite infinie de lettres, non ? Des types ont tenté l’expérience avec un singe fini, mais ça n’a rien donné.

Ce théorème montre plus prosaïquement la difficulté de penser en termes d’infini.

Je ne vais plus vous ennuyer longtemps avec mes singes. Si vous voulez approfondir le sujet, vous pouvez toujours vous diriger vers l’article de Wikipédia, qui n’est pas mal foutu (l’édition anglophone est de meilleure qualité). Vous pouvez aussi lire La Bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges, belle variation sur le thème, ou encore L’histoire sans fin de Michael Ende (mon tout premier "roman préféré", lu à l’âge de huit ans !), qui contient quelques chapitres en forme de réflexions sur l’infini. Le titre de l’ouvrage fait ainsi référence au chapitre du Vieillard de la Montagne Errante, qui consigne dans un livre l’histoire du roman au fur et à mesure qu’elle se déroule et qui se voit obliger de relire cette histoire, créant une dangereuse boucle infinie. Plus tard, lorsqu’un des héros du roman (Bastien), en compagnie du singe (!) Argax, rencontre d’anciens empereurs déments qui ont tout oublié du monde réel, ces derniers jouent au "jeu des probabilités" avec des gros dés contenant des lettres sur chacune de leurs faces : "quand on y joue très longtemps, à longueur d’années, il arrive parfois que des mots surgissent par hasard".

Déterminisme et fatalisme

D’autres réflexions m’ont parfois fait très mal à la tête, comme la question du fatalisme, une forme de déterminisme scientifique appliqué à l’être humain. Le concept possède quelques rapports avec ce qui a été dit précédemment (notamment la question de la causalité). Du coup, j’arrive in extremis à vous faire croire que cet article suit une direction bien précise (or, il n’en est rien). Si (si ?) j’étais entièrement fataliste, je dirais que je n’ai de toute façon pas eu d'autre choix que d’écrire cet article comme je l’ai écrit, au moment où je l’ai écrit, de la façon dont je l’ai écrit, à la virgule près.

Le fatalisme a notamment été très bien décrit par un athée du XVIIIe siècle que j’aime beaucoup (encore un lien avec le début de l’article !), le Baron d’Holbach, dans son Système de la nature (1770) :
"Homme faible et vain ! Tu prétends d'être libre ; hélas ! Ne vois-tu pas tous les fils qui t'enchaînent ? Ne vois-tu pas que ce sont des atomes qui te forment, que ce sont des atomes qui te meuvent, que ce sont des circonstances indépendantes de toi qui modifient ton être et qui règlent ton sort ? Dans une nature puissante qui t'environne, serais-tu donc le seul être qui pût résister à son pouvoir ? Crois-tu que tes faibles vœux la forceront de s'arrêter dans sa marche éternelle, ou de changer son cours ?"
Le fatalisme, c’est donc la négation qu’un être humain dispose d’un libre arbitre, même limité. Face à n’importe quelle situation ou interaction avec le monde, cet être humain réagira, pensera, s’activera forcément comme il doit réagir : il réagira comme un assemblage complexe de molécules. Toutes les occurrences passées (toutes les causes) l’entraîneront à faire ce qu’il fait à l’instant présent. L’univers visible (relativiste) est régi par le déterminisme. Pourquoi l’homme sortirait-il du cadre ?

Bon, ne manquerez-vous pas de me dire, la conception est très "mécanique classique" : elle s’applique à l’univers tel qu’on le concevait au XVIIIe et au XIXe siècle. Un univers où tout était explicable sur base de "mouvements d’horloge". La physique quantique, avec le fameux principe d’incertitude d’Heisenberg (impossibilité fondamentale de déterminer simultanément la vitesse et la position d’une particule), démolit en partie cette conception déterministe universelle.

On pourrait donc avancer que l’humain garde son libre arbitre de justesse grâce à la physique quantique (merci Niels Bohr !). N’empêche, philosophiquement parlant, ça ne résout pas vraiment mon problème : durant toute mon existence, ai-je réellement eu le choix dans les actes que j’ai posés ? Aurais-je pu faire autrement ? Vous allez me répondre : "Évidemment que tu avais le choix ! Évidemment que tu aurais pu faire autrement !" (Mmmmh, je sens comme une pointe de reproche dans ce que vous me dites là.)

"Déjà, ta vie a été influencée au hasard des rencontres." Oui, mais peut-on parler de hasard ? Si j’ai rencontré tous ces gens, c’est que je devais les rencontrer, non ? Je ne parle pas du tout de destin, hein ! (Même si destin et déterminisme sont sans doute deux manières opposées de poser la même question.) Même en prenant en compte les milliards d’interactions que l’on a avec le monde dans une vie, ce n’est pas parce qu’on est humainement incapable de les mesurer qu’elles ne sont pas mesurables dans l’absolu. Ne parle-t-on pas de hasard simplement parce qu’on ne peut voir toutes les causes tendant vers un événement donné ?

"Si tu meurs en te faisant écrabouiller par un piano qui tombe par malchance d’une fenêtre au moment où tu passes en dessous, ce n’est pas déterminé !" Sauf si on considère que toute ma vie tend vers cet événement, simplement parce que, par un engrenage causal bien malheureux, je ne peux être qu’à cet endroit à ce moment.

Bref, je n’arriverai sans doute jamais vraiment à avoir l’esprit en paix par rapport à cette question. Cela ne m’empêche nullement, par ailleurs, d’exister ni de penser ce que je pense, ni encore d’avoir certaines idées bien précises et de les défendre, ni enfin d’agir dans certaines situations...

Si vous voulez continuer la réflexion, je vous propose de lire un chef-d’œuvre de la science-fiction : Abattoir 5 de Kurt Vonnegut (1969). C’est un roman qui décrit très bien le fatalisme et, mieux encore, qui donne la possibilité de vivre sans trop en souffrir. Le "héros" du roman, Billy Pèlerin, un soldat de la Seconde Guerre mondiale, arrive, dit-il, à "décoller du temps", c’est-à-dire à considérer vraiment le temps comme la quatrième dimension (temporelle) et de s’y déplacer comme dans les trois premières (spatiales), à l’instar des extraterrestres de la planète Trafalmadore qu’il a rencontrés/rencontrera. Les "Trafalmadoriens" ont la possibilité de voir chaque instant de leur vie, y compris celui de leur propre mort. Ils ne peuvent pas changer leur... euh... destin ni le destin du monde mais peuvent à loisir se projeter à l’intérieur même de la période durant laquelle ils ont vécu. Ils sont donc totalement et définitivement fatalistes : ils ne peuvent pas changer le cours du temps, juste le voir, de sorte que, lorsqu’ils sont confrontés à la mort, ils ne peuvent que répondre la phrase fataliste par excellence : "C’est la vie" ("So it goes"). En outre, ils n’arrivent pas à comprendre les humains qui croient dur comme fer à leur libre arbitre.

Perception du réel

La dernière question que je voulais aborder brièvement (4) (ouf !) aujourd’hui est une de celles qui hantent mes cauchemars. Après la question fataliste : "Pouvais-je écrire autre chose que ce que j’écris ?", voici la question sur la réalité elle-même : "Des gens lisent-ils réellement ce que j’écris ?". Je ne pose pas la question de savoir si ce blog a des lecteurs (je sais qu’il n’est lu par personne, hahaha !). Je me la pose à un niveau supérieur beaucoup plus flippant : "Comment être certain que ce que je fais ne fait pas partie d’un rêve ?" ou "Comment être certain que ce je perçois est la réalité ?". En fait, c’est totalement impossible d’en être certain et il faut faire avec.

Oui, bon, c’est la Caverne de Platon, quoi. (Ou Matrix ou The Truman Show, ouais, si vous voulez.) Nous sommes obligés de regarder le monde et de le comprendre avec nos sens limités... Rien de neuf.  Personnellement, j’adore néanmoins cette citation de l’auteur de science-fiction Philip K. Dick (1928-1982) (5) :
"Ils ne construisent que la partie du monde dont ils ont besoin, pour vous convaincre qu’il est réel. Vous voyez, c’est une sorte d’opération à petit budget : ces pays dont vous entendez parler, comme le Japon ou l’Australie, n’existent pas vraiment. Il n’y a rien là-bas. À moins bien sûr que vous ne décidiez d’y aller, auquel cas il leur faut monter tout ça, le décor, les immeubles, les gens, pour que tout soit prêt à votre arrivée. Ils doivent travailler sacrément vite."
Il n’est pas une semaine de ma vie, depuis mes 13-14 ans, sans que je sois dans cet état d’esprit, en ayant l’impression d’être totalement décalé du réel. Oui, c’est un peu terrifiant mais je n’en vis pas trop mal, merci. Heu. Enfin... C’est peut-être pour ça que je bois (enfin, que je buvais) et c’est peut-être pour ça que parfois, je suis pétrifié quand il s’agit d’avoir des contacts avec "l’extérieur".

Si je parle de ce genre de raisonnement à mes amis, ils me diront : "mais non, je t’assure que c'est bien moi que tu as devant toi !" Ce n’est pas rassurant, hein ?

Pas rassurant du tout.

Bon, allez, je vais aller prendre mon train pour la mer.
Enfin, je crois que je vais aller prendre mon train pour la mer.
À l’heure qu’il est, ils ont déjà dû préparer les vagues, les Flamands en short, les vieux, tout ça...

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(1) Seul petit bémol : curieusement, j’ai eu droit à un baptême catholique. Allez savoir pourquoi ! Tradition villageoise disent mes parents : paraîtrait qu’on ne se posait même pas la question dans ma campagne à l’époque et qu’on baptisait tout le monde. Mouais... Avec un père qui se dit "marxiste", c’est quand même très curieux, non ? Peut-être ce dernier est-il en réalité un agent  jésuite infiltré au sein du monde de la gauche radicale ?
(2) L’absurdité de la cause première et la référence à Stuart Mill ont également été reprises par le mathématicien et philosophe Bertrand Russell dans Why I Am Not a Christian en 1927.
(3) Dans l’univers des probabilités, et en caricaturant un peu, un évènement est dit presque sûr lorsqu’il a une chance de se produire en un nombre fini d’événements. Exemple très simple avec le jeu de pile ou face : la pièce tombera presque sûrement sur "pile" après un certain nombre de lancers, même si, dans l’absolu, il est possible qu’elle retombe toujours sur "face". Lorsqu’on tend vers l’infini, la probabilité que la pièce tombe au moins une fois sur "pile" tend vers 1 : l’événement "pile" sera presque sûrement vrai.
(4) Bah oui parce que je pars pour la mer du Nord dans une heure...
(5) Reprise par Lorris Murail, Les maîtres de la science-fiction, Paris, Bordas, 1993, p. 111.

jeudi 5 mai 2011

[HUMEUR] Moi, Léandra, abandonnique


Vous savez quoi ? Je suis amoureuse.
Et vous savez quoi ? Ça me fait une belle jambe (je n'en dirai pas plus, car j'ai promis).

Et alors on fait quoi, maintenant que je ne peux plus trop m'étaler sur mes petites histoires de cœur ? J'ai trouvé ! On fait plaisir à Hamilton, et on pond un article depuis longtemps promis : sur l'abandonnisme.

(Bon, en relisant ce post, je ne peux que constater avec effroi que ce sujet a quand même un rapport très, très étroit avec ma vie affective - faut pas rigoler non plus).

(Pour la petite histoire, je viens de supprimer l'intro que j'avais écrite pour ce texte, elle était naze de toute façon. En fait, toujours pour la petite histoire, j'avais commencé à rédiger à la Maison du Peuple, mais ma connexion a coupé. Alors je suis rentrée chez moi comme une brave fille. Et sur le chemin du retour, j'ai eu quelques raisons d'avoir un gros coup de cafard. J'ai donc choisi de virer toutes les fioritures et d'entrer dans le vif du sujet - vous verrez, ça va saigner).

Pour tout savoir sur l'abandonnisme, il suffit de lire cet article : .

C'est trop long pour vous ? Alors je résume : l'abandonnique, c'est moi.
Moi tout craché, comme dirait Mc Inerney (un jour, je vous parlerai de la culture littéraire qu'on peut acquérir en fréquentant les sites de rencontre).

Sans blague, cette description, on dirait qu'elle a été écrite par un ami qui me connaît bien et qui essaierait de mettre à plat mon "problème".

J'en reviens pas comme je me retrouve. Dans ce contexte, le mieux est encore de faire des copier/coller…
(Avertissement pour les âmes sensibles : les lignes qui vont suivre sont une tentative d'auto-analyse psy d'un égocentrisme susceptible de heurter un public non averti… ou plutôt qui refuse d'être averti. Autrement dit, plus vulgairement : ne lisez pas si vous n'avez pas de couilles).

Reprenons-nous, hum, hum.
Qu'est-ce qu'il dit de beau ce texte ? Plein de trucs troublants… Je cite…

"L'abandonnique redoute par-dessus tout le fait qu'on ne s'occupe plus de lui. Il voit dans ce manque de sollicitude une privation d'amour qu'il ressent comme une frustration".
→ Bah oui, c'est évident.

"Il réclame des certitudes absolues et des réassurances persistantes, seules certaines personnes élues comme objets sont capables de lui apporter la certitude qui alimente sa sécurité".
→ C'est exactement ça. Les "personnes élues" s'en souviennent encore, les pauvres… Et y a des années que je n'ai plus été rassasiée de certitudes…

"Il est habité par la hantise d'être abandonné et, projetant sa peur sur l'objet, il lui attribue des arrière-pensées, des doutes, des sentiments d'antipathie, des intentions méchantes ou des mobiles agressifs et hostiles".
→ Pour paraphraser je ne sais plus qui : "Ce n'est pas parce que je ne suis pas paranoïaque qu'ils ne sont pas tous après moi". Je pourrais dire : "Ce n'est pas parce que je suis abandonnique qu'ils ne me laissent pas tous tomber l'un après l'autre parce qu'ils ne m'aiment pas assez".

"Cette crainte constante d'être "lâché" met l'objet dans une situation si difficile et si lassante qu'elle peut aboutir à la longue à un lâchage réel. Telle est la fatalité qui pèse sur l'abandonnien, il favorise l'abandon".
→ J'ai pu m'en rendre compte, oui, c'est un fait (cruel)…

"L'abandonnique aspire au sentiment de fusion avec un autre être (la mère) et non au sentiment de relation qu'il ne conçoit même pas".
→ J'ai l'impression de n'avoir aucun problème avec ma mère (qui lit certainement ce blog - coucou maman), mais pour ce qui est de la fusion, c'est sûr que c'est un truc sur lequel je fantasme complètement. Le problème, c'est que la fusion, ça ne peut forcément que se faire à deux… et qu'il y a pas tellement de fétichistes de ça, pour des raisons qui m'échappent.

"Les abandonniques ont toujours deux caractères en commun : l'angoisse et l'agressivité qui se rattachent à un état psychologique initial, caractérisé par l'absence d'un juste sentiment du Moi et de sa valeur propre. C'est sur l'angoisse qu'éveille tout abandon, sur l'agressivité qu'il fait naître et sur la non-valorisation de soi-même qui en découle, que s'édifie toute le symptomatologie de cette névrose".
→ Ça devient un peu trop du charabia de psy, je suis d'accord. Mais pour le côté angoissé, limite flippé flippant, et sur la dévalorisation : c'est encore dans le mille !

"Non-valorisé, l'enfant se trouve dans un état de faiblesse et d'impuissance qui donne naissance aux terreurs. L'adulte qu'il devient ne peut s'en délivrer, il reste ce qu'il était : un être prématuré devant la vie, incapable de s'y adapter par lui-même, la réalité demeurant pour lui hostile et inaccessible".
→ J'ai toujours l'impression d'avoir eu une enfance très heureuse, mais ce truc de "être prématuré" devant la vie m'interpelle pas mal (je pesais 1 kilo 700 à la naissance. Alors quoi la source de mes déboires serait ces bêtes semaines passées en couveuse il y a 31 ans ? Ça serait trop bête quand on y pense). Du coup, j'ai cherché sur Google si y avait pas des articles traitant du lien entre prématurité et abandonnisme, mais j'ai rien trouvé – une piste à creuser ?

"Hanté par la peur de perdre l'amour, l'abandonnique cherche à se préserver de ce malheur et de l'angoisse qui l'accompagne par des mesures de protection, tantôt négatives (refus de s'engager, s'infliger l'abandon pour éviter le sentiment d'être le jouet d'autrui : lâcher pour ne pas être lâché), tantôt positives (dévouement, asservissement à autrui, soin porté à préserver le lien, ...)".
→ Bon, il est quand même globalement préférable d'avoir surinvesti les "mesures de protection" positives, non (genre être aux petits soins pour ceux que j'aime) ? Allez, rassurez-moi, faut quand même pas tout jeter dans Léandra…

"(…) (Je vous épargne plein de trucs, car l'article est long) exigences sans limite de son besoin d'amour. Exigences liées à la pensée magique, la plus grande preuve d'amour qu'il réclame de l'objet est non seulement d'être compris, mais d'être deviné".
→ Evidemment que je veux être devinée ! Quoi c'est trop demander ? En même temps, je passe mon temps à donner plein d'indices pour qu'on trouve facilement, mais ça ne paraît pas suffisant…

"Il lui faut des faits, et ces faits seront envisagés par lui à l'état brut, dépouillés de leur contexte, des circonstances connexes, des intentions de l'objet : "il aurait pu arriver à l'heure s'il l'avait réellement voulu, s'il le désirait vraiment, il pourrait vaincre tous les obstacles". Le manque de sécurité affective joint à un égocentrisme très primitif abolit le sens du possible, du réel et le fait recourir à la croyance magique en la toute puissance de l'objet".
→ N'empêche que si je leur avais vraiment plu, ils seraient (pour le moins) arrivés à l'heure / auraient répondu au téléphone / à mon mail / j'en passe et des meilleures.

"Exigences liées au besoin d'absolu : l'abandonnique aspire à tout partager avec l'être qu'il aime, à tout savoir, à tout faire avec lui. L'attachement abandonnique est exclusif, il n'admet ni l'absence, ni le partage, c'est tout ou rien".
→ J'ai envie de dire à l'instar de George : "What else ?" (pourtant je n'aime pas le café). Bien sûr que je vise l'absolu, c'est la moindre des choses : je ne vais quand même pas me contenter d'un truc bas de gamme…

"Demeuré fixé au stade réceptif et captatif de l'enfance, il attend tout d'autrui".
→ Bon, là, c'est exagéré. Je n'attends pas tout d'autrui, juste le plus important.

"(…) manifestations masochiques explosives : scènes de désespoir, crise de dévalorisation dirigées contre l'objet, accès d'angoisse plus ou moins spectaculaires. Plutôt qu'à se faire consoler et rassurer, le sujet vise à blesser l'objet, à le désemparer, à lui donner de la culpabilité, car le propre de ces crises est de mettre en évidence l'irresponsabilité du sujet et la complète responsabilité de l'objet".
→ Vu comme ça, je suis une méchante fille manipulatrice. Je comprends bien le mécanisme, et y a de ça, mais je vous jure que je suis quelqu'un de bien quand même.

"La non-valorisation affective amène toujours l'abandonnique à un sentiment extrêmement pénible et obsédant d'exclusion, de n'avoir nulle part sa place".
→ J'aurais pas dit mieux.

"(…) une forte affectivité, avec prédominance des besoins affectifs sur les autres besoins".
→ Dans la famille des besoins de Maslow, je choisis… les besoins affectifs ! Yeah ! Quoi, c'était une mauvaise pioche ? Ah ben pas de chance pour moi…

"(…) un besoin possessif intense, plus ou moins camouflé, à l'égard des êtres qu'il aime. Intolérance à la privation, à l'absence, au partage".
→ Possessive, moi ? Si peu…

" (…) une tendance marquée à l'anxiété".
→ Anxieuse, moi ? Vous croyez ? Mais non, je ne me ronge même plus les ongles (ceux de mes pouces sont super longs, c'est super moche).

"Pour qu'il soit heureux et paisible, il faut qu'il se sente entouré de tous ceux qui l'aiment et qu'il chérit en retour, que rien ne menace l'unité familiale en général et singulièrement son unité avec la mère et que celle-ci lui donne preuve sur preuve de son amour. Inversement, tout ce qui menace cette unité, tout ce qui lui semble porter atteinte à l'exclusivité du lien, déclenche son désespoir ou sa révolte. Sa sécurité s'effondre avec la même facilité qu'elle se retrouve : il dépend entièrement du climat créé autour de lui, et ce climat lui-même est dû souvent à de très petites choses, des nuances, des riens (…).
→ Oui, bon, je ne vois pas trop quoi ajouter. Le besoin d'être entourée d'affection, d'être rassurée, la recherche constante d'exclusivité. Le fait d'être heureuse pour un rien, pour un mot gentil lancé peut-être par hasard, qui sait, et puis l'instant d'après complètement raplaplapla car "les élus" (est-il vraiment utile de préciser qu'il s'agit presque toujours d'hommes ?) n'ont pas répondu comme je voulais à un de mes "trucs". C'est juste ça…

"Il manifeste une intolérance quasi absolue à tout ce qui implique un renoncement sur le plan de l'amour possessif".
→ Certains sont bien intolérants au lactose, moi c'est au renoncement. Chacun sa croix…
La possessivité, c'est moche, je n'en suis pas fière du tout. Par contre, j'assume complètement le fait de rejeter en bloc tout ce qui implique un renoncement à l'amour tout court. C'est parfois pénible (pour les autres comme pour moi), mais je n'ai pas envie de changer.

(Comme disait un de mes derniers statuts Facebook, je suis à prendre ou à laisser : voilà).

Ben dis donc, presque 4 pages Word… C'est facile de noircir des pages en reprenant des phrases écrites par d'autres ! A quoi bon se casser le cul à écrire des anecdotes dans l'espoir d'être comprise ? C'est une aubaine pour moi d'être tombée sur cet article.

Et le partager ici, pour une sale abandonnique comme moi, c'est idéal. Rien ne me réjouis plus que d'être comprise, à fond. Me dévoiler, avouer mes trucs pas très clean, et espérer qu'on "me prenne" quand même : c'est quasiment le pied…

Oups. En relisant ce dernier paragraphe, je me rends compte des doubles sens sexuels presque explicites qu'il contient. Beurk, c'est dégueulasse.

Déjà le mot : abandonnique.
Ah-bande-oh-nique.
Mais on se croirait dans un film porno, ma parole…
(C'est Hamilton qui va être content).

Vaut mieux que j'aille me coucher, moi. Je dérape (et ce n'est pas mon genre).

Bonne nuit, les gens. M'abandonnez pas surtout.

[JEU] [SF] Dune


Dans un article consacré au lectorat très particulier et souvent très jeune de la science-fiction, le critique et anthologiste Jacques Goimard n’hésite pas à parler de conversion : "essayons de représenter", dit-il, "ce jeune homme de quatorze ans qui se convertit (le mot n’est pas trop fort) à la S.-F." (1)

Conversion. Le terme – je le rejoins totalement sur ce point (et sur plein d’autres d’ailleurs) – n’est de fait pas trop fort pour désigner ce phénomène qui consiste pour un jeune adolescent (boutonneux, mais pas toujours) à découvrir en quelques jours (voire quelques heures), souvent par un média interposé (ou pas), l’immense potentialité de développement mental, d’imaginaire et d’émotions contenue dans ce genre dont il ignore alors encore tout, si ce n’est ce que tout le monde connaît où s’imagine connaître (à savoir de gros standards stéréotypés du style : "oh, la science-fiction, ce sont ces films qui se passent dans le futur, avec des vaisseaux spatiaux et des robots").

Conversion. C’est bien une des seules fois que j’utiliserai ce terme pour parler d’un événement qui a totalement bouleversé ma vie. Étant athée (une autre caractéristique fondamentale d’une majorité des lecteurs de S.-F. apparemment), matérialiste et rationaliste jusqu’au petit orteil (même remarque que dans la dernière parenthèse), il s’agit là sans doute de l’unique conversion que je pourrai jamais revendiquer dans ma vie.

La S.-F. : une philosophie qui comble cette sensation de vide et ce besoin d’absolu que ressentent les mécréants. Cordwainer Smith, un des plus grands auteurs de S.-F. (j'en reparlerai, un jour), chrétien dans l’âme, ne serait sans doute pas d’accord avec cette définition. Quoique. Ce génie est certes mort depuis plus de quarante ans, hélas, hélas, hélas !

De toute façon, on ne peut définir la science-fiction. Est simplement considérée comme science-fiction tout ce que l’amateur de science-fiction considère comme étant de la science-fiction (2) et puis voilà ! C’est une tautologie mais c’est surtout totalement vrai. Je n’ai jamais rencontré un seul fan de S.-F. qui remettait en cause cette définition. Mais il faut dire aussi que je n'ai pas rencontré beaucoup de fans de S.-F.

Trêve de digression.

Les divers articles de Goimard consacrés au public de la S.-F. sont stupéfiants dans le sens où quand je les lis, je revois le jeune Hamilton découvrant le genre, l’avalant, l’incorporant à sa personnalité. Il doit y avoir des milliers, des millions de jeunes des années 50, 60, 70, 80, 90, 00 (ça se dit ça, les années "00" ?) qui ont dû avoir exactement le même sentiment devant cet appel des grands espaces, des temps lointains, et qui s'y sont abandonnés (3). La musique des sphères, en quelque sorte.

Aujourd’hui, une amie remarque qu’Hamilton n’a plus rien écrit sur ce blog depuis très longtemps. Elle a, dit-elle, pour rituel d’aller voir chaque matin – en vain – si quelque chose de nouveau s’y trouve (c'est trop d'honneur).

Quel est le rapport avec le début de l’article ? J’y viens. 

Je suis censé écrire une suite de textes sur les jeux vidéo d’antan (crévindiou de bondiou) mais je n’y arrive pas. Écrire un article sur la symbolique des cotons-tiges dans les deux premiers opus de "Monkey Island" me prendrait plus de trois mois.

Alors voilà l’idée : parler aujourd’hui de S.-F. et de jeux vidéo en un seul article car j’ai connu la S.-F. grâce à... un jeu vidéo. C’est en effet, comme je le disais plus haut, très souvent via un média interposé qu’un ado découvre la S.-F. littéraire.

Cet article sera le premier d’une série sur le jeu vidéo et la S.-F.
Léandra va se faire chier, mais alors grave de chez grave.
Tant pis pour elle. De toute façon, elle, de son côté, doit écrire un article sur l’abandonnisme.
De toute façon, elle a autre chose à faire pour le moment, hein...

Bref.

Le jeu vidéo en question, c’est "Dune" de Cryo.
Le livre, c’est Dune de Frank Herbert.

Le début d’une grande aventure. 
Jamais un jeu ne m’a fait autant d’effet.
Et jamais un livre ne m’a fait autant d’effet non plus.
Même Hypérion, même Fondation n’ont jamais eu le même impact.
L’impact du premier contact avec la S.-F.

"Dune" de Cryo (1992)

Je me souviens du moment.
J’avais treize ans et il faisait beau dehors.
Je pense que ça devait être la fin du printemps.
Je ne saurais être plus précis. J'avais treize ans et demi, quoi, grosso modo.

Mon père revenait de son boulot d'ouvrier chaque jour vers 15h30 (ça n'a d'ailleurs pas changé, presque vingt ans plus tard !).
Chaque jour, il ramenait des jeux PC.
Des jeux PC piratés (hé oui !), sur disquettes.

Ce jour-là, c'était trois disquettes : "Dune disk 1", "Dune disk 2", "Dune disk 3" (4).
Après installation, configuration des sons Adlib/SoundBlaster, libération de la mémoire paginée et bidouillage d'un autre temps, j'ai commencé à y jouer.
J'ai joué très tard sur mon PC, ce jour-là.
Je l'ai terminé très rapidement, ce jeu, le jour-même en fait. Deux fois.
Mais peu importe.

Ce qui m'a énormément plu et marqué, c'était l'univers représenté, ainsi qu'une façon de fonctionner tellement propre à la science-fiction (même si je ne le savais pas encore) : dès le début, le jeu vous plonge dans quelque chose d'autre, d'étranger, comme si cet autre était coutumier et réel ; dès le début, les auteurs/concepteurs vous prennent en adulte : ils considèrent que vous êtes assez mature et intelligent pour combler les vides logiques. J'ai adoré.

Et puis, il y avait l'ambiance, vertigineuse. Les concepteurs (Herbulot, Ulrich, Bouchon...) sont des fans du roman et ça se ressent jusqu'au moindre détail... Représentation fidèle des fremens, les premiers habitants de la planète ; coucher et lever de soleil sur le désert ; musique (de Stéphane Picq), totalement incroyable pour l'époque ; galerie de personnages hauts en couleur ; vers des sables ; contrebandiers ; ornithoptères ; harkonnens ; etc., etc., etc. Même aujourd'hui, avec ses graphismes "256 couleurs" totalement "dépassés", le jeu ne perd en rien de sa grandeur. En résumé : la haute qualité ne se soucie guère de la haute définition.

Et puis, vient tout naturellement le bouquin.

Dune de Frank Herbert (1965)

Dans la semaine, je demande à ma gentille maman de me trouver le livre dont le jeu est tiré.

Une chance : la bibliothécaire de mon petit village est une femme très cultivée qui a des goûts éclectiques en matière de lecture, pas du tout du genre à vous juger sur ce que vous lisez ("Quoi ? Votre fils veut lire de la science-fiction ? Mais où va-t-on ? Tenez, voilà le Livre de la Jungle, ça lui forgera le caractère"). Elle a tout le cycle de Dune dans "sa" bibliothèque. Elle a même d'autres livres d'Herbert (comme Le Preneur d'âmes, qui n'est pourtant pas son plus connu, ou Dosadi). Et elle a même tout un rayon consacré aux grands de la science-fiction (dont plein de bouquins d'Asimov, le deuxième auteur que je lirai après Herbert, et du Simak, et du Bradbury, et du Clarke !). Louée soit cette vieille dame.

Et me voilà donc, le week-end suivant, dévorant les quelque 700 pages de Dune de Frank Herbert. Je bouffe presque l'entièreté de ce roman en une seule nuit blanche. Je le dévore sans me poser de questions. Chaque chapitre est un émerveillement aux yeux de l'adolescent que je suis. La politique. La religion. La trahison. La fidélité. La mort. L'amour. La loyauté. L'écologie. Les plans à l'intérieur des plans. Ce n'est pas pour rien que ce roman est souvent comparé à La Guerre et la Paix de Tolstoï. Sauf que Tolstoï a eu plus facile qu'Herbert car il a situé son histoire (géniale au demeurant – là n'est pas la question) dans le "monde réel" et non dans le futur.

J'ai en tête des scènes marquantes de cette première lecture de Dune.
La première vision d'un ver des sables géant.
Thufir, dans le désert, se rendant compte de l'incroyable force des fremens.
Le sacrifice d'Idaho.
La cérémonie pour Jamis.
Les rêves de Paul.
Etc.

Par la suite, j'ai tellement lu ce livre que je suis désormais capable, dix-huit ans après la première lecture, de prendre un chapitre (voire un morceau de chapitre) au hasard et de le replacer dans son contexte général.

Ce livre peut être lu des centaines de fois et toujours surprendre. Pourtant, de prime abord, il est très (trop ?) classique dans la forme. Toujours le même format. Un exergue pour débuter chaque chapitre ; chaque chapitre composant une scène (comme au théâtre), avec son lieu, son temps, son action.

Cependant, il est tellement subtil dans l'écriture que l'on peut y trouver à chaque lecture une nouvelle interprétation.

C'est en effet un livre qui possède différents sens de lecture : les premières fois qu'on le lit, on le fait de manière linéaire (ligne après ligne), en se référant parfois au glossaire en fin de volume ; par la suite, on peut relire un chapitre et le remettre dans son contexte global ; plus tard encore, on se rend compte que c'est encore mieux que ça : l'auteur s'amuse, manifestement. Le style sérieux (voire ampoulé) du roman peut constituer une forme poussée d'ironie, d'humour très tordu. Un peu comme si l'ouvrage avait réellement été écrit, le plus sérieusement du monde, par un historien bien après les événements. Cette façon de procéder est vraiment à mon sens l'apanage des plus grands. Pour prendre un exemple "extérieur mais pas trop", Tolkien, dans le registre de la fantasy (la cousine de la science-fiction) ne faisait pas autre chose.

La prochaine fois, je vous parlerai de... euh... oh, et puis, je vous laisse la surprise, tiens.

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(1) Ce texte, publié dans l’Atlas Universalis des littératures (1990), est repris dans un recueil de critique de Jacques Goimard, Critique de la science-fiction, Paris, Pocket, 2002, p. 124-132 (p. 125 pour ladite citation).
(2) L'idée n’est pas de moi. Elle a été énoncée sous une forme différente par Damon Knight, notamment. Et Norman Spinrad disait aussi en 1974 que "la science-fiction était toute chose publiée comme étant de la science-fiction".
(3) À noter que les détracteurs de la science-fiction critiquent cette dernière en utilisant le même argument que ceux qui l’adorent : la S.-F., c’est une vision d’un espace et d’un temps auxquels nous n’aurons jamais accès. Du coup la chose est au mieux sans intérêt, au pire totalement terrifiante pour les détracteurs, mais fantastique pour les fans.
(4) Depuis lors, j'ai acheté le jeu plusieurs fois. Obsession du collectionneur et aussi remerciement aux créateurs.