lundi 31 janvier 2011

[JEU] Ils m’appelaient "Grand Kiwi". Récit de mon voyage au cœur des communautés Internet, partie 1 : l’aventure "MonLégionnaire"

 
 

J’aime pratiquer l’archéologie dans mes souvenirs.

Comme tu t’en doutes certainement, l’aventure débuta par une initiative un peu banale. Du genre : je m’inscris à un jeu de quizz sur le Web, juste-pour-voir-hein. En l’occurrence, c’était MonLégionnaire (1).

Vu que c’était en ligne, il y avait forcément une communauté. Et vu qu’il y avait une communauté, il y avait forcément un forum. Étant devenu par la force des choses correcteur de questions, je commençai à fréquenter le forum. Mon pseudo était "lvanvelthem" pour "Lionel Vanvelthem", qui est une jolie anagramme (j’en suis assez fier) de mon vrai nom Hamilton L. Evenvel.

(Beaucoup de personnes pensaient alors que j’étais d’origine russo-flamande et que je m’appelais Ivan Velthem, à cause du L minuscule qui prêtait à confusion, alors que je suis en réalité d’origine belgo-prussienne. Enfin bref... Tu t’en fous de tous ces détails, hein ?)

Sur le forum, je posais des questions sur mon travail de correcteur, répondais à d’autres et flânais de temps en temps sur des sujets extérieurs au jeu. Et voilà-t-y-pas-crévindiou-de-bondiou qu’un article sur le forum traitait d’Ogame (2), un jeu de science-fiction en ligne. Chouette alors, une nouvelle aventure, me dis-je !

Ogame semblait bien foutu et je décidai donc de m’y inscrire, toujours-juste-pour-voir-hein. Je pris pour pseudonyme "Pardot Kynes", référence obscure au premier "planétologiste" impérial d’Arrakis dans le roman de science-fiction Dune de Frank Herbert (mon livre préféré). Quelques autres actifs sur le forum de MonLégionnaire s’y inscrivirent également (ou étaient tout simplement déjà inscrits). Et puis vint l’idée de se rejoindre... Certains "légionnaires", comme Tantéplus, le libraire-ours des Pyrénées, étaient déjà dans une alliance (un regroupement de joueurs sur Ogame). En parallèle, une joueuse de l’époque (Lovestreams) et moi-même prenions l’initiative de fonder une alliance réservée aux légionnaires sur un des serveurs de jeu (l’Univers 22 francophone) et de la nommer, tout naturellement, l’alliance "MonLeg".

C’est comme ça que tout a démarré.
C’était en novembre 2005. Une éternité dans ce monde de bits.
("Bit" n’est pas une insulte, ne le prends pas mal, hein.)

Nous fûmes très vite rejoints par d’autres : Gast, un compatriote belge ; cos-1, informaticien et canard cosmique de son état qui débutait (et débute toujours d’ailleurs) ses posts par un "Couin" devenu aujourd’hui mythique ; Tantéplus, qui quitta rapidement son alliance d’origine ; ronanj, administrateur du site MonLégionnaire à l’humour hors du commun ; offsprings ; Daktari... Et tant d’autres...

L’alliance prit des proportions assez énormes. Pas du jour au lendemain, mais assez vite quand même. Le forum que nous avions créé, toujours actif et comptant presque 200.000 messages à ce jour (soit cinq ans plus tard), en est la preuve absolue. Au départ, ce forum était un petit truc juste dédié à la gestion de l’alliance. Cette dernière se voulait "démocratique" (bien que le concept fût très difficile, voire impossible, à appliquer sur un forum Web) : j’étais le fondateur du forum et de l’alliance, son gestionnaire, mais pas du tout son chef.


Sur Ogame, on faisait quelques étincelles. En premier lieu parce qu'on était une des seules alliances francophones regroupant une majorité d'adultes sachant parler correctement le français (le langage kikoolol/sms était banni). Et aussi parce qu'on jouait pas mal parfois. cos-1, un joueur invétéré en plus d'être un canard cosmique, était arrivé dans le top 5 de l'Univers juste en minant et en attaquant des joueurs inactifs (chose très rare dans l'histoire du jeu, enfin je pense).

Le forum a grandi et l’alliance également. Celle-ci est devenue bien plus qu’une alliance vivant pour Ogame. Nous nous sommes lancés dans d’autres jeux en ligne (Travian, Seaskulls…). Nous avions des sujets de discussion très prenants sur le forum (du genre : "Dites-vous MonLègue ou Monlège ?" ou encore des trucs bien politiques où personne n’était d’accord). On argumentait, toujours avec respect de l’autre. Très peu de points Godwin ont été enregistrés, chose très rare sur le Net. Il y a eu des départs, des arrivées, des scissions, des alliances-sœurs, des alliances-filles, des alliances-rebelles...

Presqu’une vraie vie, sauf que ce n’était pas la vraie vie.


Comme "photo de profil", j’avais pris un dessin représentant Stilgar, grand chef fremen dans Dune, venant du jeu vidéo du même nom. Avec sa grosse barbe noire, son air sage et la capuche de son "distille" se rabattant sur la tête. Les gens ont fini par me donner comme surnom "Grand Gourou"... Et aussi à me voir comme une sorte de grand gars ténébreux à la voix caverneuse, très sûr de lui. Bref un meneur d’hommes.

Tout l’inverse de moi, en fait.
De cela, certains s’en sont rendu compte aux "visus" : "Quoi ? C’est lui, Pardot ? Ce gars d’un mètre 70, avec sa voix aiguë, son accent belge-une-fois et son air pas sérieux du tout ?"
Les visus, c’est très bien, ça permet de voir les gens comme ils sont réellement.
Les gens ne sont pas comme ils écrivent.
Enfin, si, un peu quand même. Mais on n’est jamais vraiment soi-même derrière un PC : on joue un jeu, on ne se montre pas entièrement.
"C'est vraiment impressionnant à quel point les gens n'ont absolument pas la tête qu'on s'attend qu'ils aient", dira d'ailleurs un légionnaire, Bien-Aimé, après un visu à Paris (voir plus loin).

Les visus, au cas où tu ne le saurais pas, sont des rendez-vous IRL (in real life : dans la vraie vie) de gens rencontrés sur le Web. Le tout premier auquel je participai avec l’alliance MonLeg, à Mons en juillet 2006, est mémorable. Voici l'histoire : une dame de l’alliance venait d’avoir un assez grave problème (résolu depuis) avec son tout petit bébé. Très vite, l’idée d’un cadeau pour la soutenir fit son apparition sur le forum. Trente-quatre personnes y participèrent.

Résultat : une "enveloppe" de 370 euros, deux cadres-photos avec les bouilles des membres de l’alliance et un énorme nounours. Trois Belges firent le déplacement au Carillon, estaminet de la Grand-Place de Mons, pour remettre le cadeau de main à main. C’était une surprise pour elle. C’était le matin, il faisait déjà très chaud. Beaucoup d’émotions, des bières. Bref, une belle expérience.


L'origine du Grand Kiwi
C’est durant cette journée que je suis devenu le "Grand Kiwi" de l’alliance, pour toujours et à jamais... Un des deux légionnaires présents pour la remise du cadeau (Ours4771 pour ne pas le citer) vit dans les toilettes une publicité pour un rasoir Philips représentant deux kiwis poilus. Vu que j’avais de la barbe, ils décidèrent de troquer "Grand Gourou" pour "Grand Kiwi". Aujourd’hui, pour eux, je suis toujours le Grand Kiwi. Avec ou sans barbe. Enfin, je crois.

Le second grand visu auquel j’ai participé se déroulait à Paris, sur deux jours, en avril 2008… Le but était juste de se rencontrer. Neuf personnes y ont participé dont Bien-Aimé qui venait d’Allemagne en autocar rien que pour nous voir (!) ; cos-1 de Lille ; kurian de Bretagne ; Indygo de Lyon en autostop (!) ; quatre Parisiens (Esildut, Xainton, oshrat, Duschniouf). Oui, je sais, les pseudonymes font un peu ridicules, parfois, vus de l’extérieur.

Récemment, un grand visu s’est déroulé à Namur, en Belgique. Les gens de l’alliance croient sans doute que je ne suis pas au courant, mais si. Le Grand Kiwi sait tout, voit tout.

L'alliance MonLeg existe toujours mais moi, je n'y participe plus. Il s'est passé des trucs dans ma vie (la vraie vie, l'IRL, celle avec laquelle on ne plaisante pas) entretemps.

Il faudrait que j'aille leur faire un petit coucou, quand même.
Plus de cinq ans d'existence, une grande communauté, des centaines de milliers de messages.
Il faudrait vraiment que le Grand Kiwi y retourne, un jour.
Mais il a peur. Peut-être que plus personne ne connaît le Grand Kiwi, aujourd'hui ?

Dans le prochain article consacré aux jeux, je vous parlerai de World of Warcraft. C'est le cavalier noir qui prendra la parole car, contrairement à ce sujet-ci, celui-là sera noir. Noir comme la cyberdépendance aiguë.

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(1) MonLégionnaire est un jeu de quizz en ligne où la presque totalité des actions sont réalisées par les joueurs. Au début, tu ne fais que répondre à des questionnaires composés de douze questions à choix multiples. Si tu es bon au questionnaire, tu peux participer à des assauts, grâce auxquels tu écris toi-même les questions. Les questions que tu soumets sont corrigées par d’autres joueurs ayant acquis un statut de correcteur, puis sont publiées dans les questionnaires. La boucle est bouclée... Bref, c’est un jeu participatif, quoi.
(2) Ogame est un jeu massivement multi-joueurs qui, comme MonLégionnaire d’ailleurs, se joue entièrement par navigateur (pas besoin d’installer un logiciel particulier sur l’ordinateur). Partant d’une planète parmi tant d’autres, il fallait y construire des mines, des usines, des bâtiments permettant de se développer. Puis construire une flotte, coloniser d’autres planètes, faire du commerce, attaquer d’autres joueurs, etc.

vendredi 28 janvier 2011

[HUMEUR] Ablation du sentiment amoureux par chirurgie laser


Je suis une tour, incapable d’aimer.
Je suis un roc, insensible aux sentiments.
Je décortique le monde.
Froidement, de l’extérieur.

Et ça fonctionne très bien.
Mon mécanisme est bien huilé.

Sauf que... parfois... le système... plante.
Sauf que... parfois... je deviens... fou.
Et... je tombe amoureux quand même.
Et ça finit toujours mal.

Correction : parfois, ça commence très bien.
Quelquefois même, ça continue très bien.
Mais ça finit toujours mal quand même.
De toute façon, tout finit toujours mal.

La mort.
Le néant.

C’est juste une question de temps.
C’est juste une question d’attente.
Le temps dévore tout.
Même les atomes sont bouffés par ce putain de temps.

Ne croyez pas que je prenne ça à cœur.
Car rappelez-vous : je suis une tour, un roc, blablabla...

J’ai toujours réagi de la même manière.
Adolescent, je ne donnais pas de nom à l’opération.
Depuis peu, je peux la nommer distinctement :
Ablation du sentiment amoureux par chirurgie laser.

Il ne s'agit pas d’un véritable laser.
C’est une opération mentale qui y ressemble.
C’est une métaphore, une vue de l’esprit.
Mais c’est quand même totalement ça.

Explications ?
Explications.

Je n’ai pas l’habitude de tomber amoureux.
Quand ça arrive, je ne sais pas quoi faire.
En temps normal, je suis gauche.
Et quand je tombe amoureux, je suis dix fois plus gauche.

Alors, ça ne fonctionne jamais.
Presque jamais.

À chaque plantage, je procède à une chirurgie mentale.
J’efface minutieusement tout ce que j’aime chez la personne.
Je détruis chaque neurone atteint du "mal".
Je détruis chaque souvenir, bon ou mauvais.

Et elle redevient une personne ordinaire.
Opération triste mais salutaire.
Triste car elle n'existe plus vraiment.
Triste car je suis là sans être là.

Léandra m'a dit un jour :
L'opération prend moins de temps à trente ans qu'à vingt.
Elle a raison. Léandra a toujours raison.
Même si Léandra ne m'a jamais vraiment dit ça.

Et la vie continue...
Et je redeviens une tour, incapable d’aimer.
Et je redeviens un roc, incapable du moindre sentiment.
Et je recommence à décortiquer le monde, froidement, de l’extérieur.

Jusqu’à la prochaine fois.
Jusqu’à cette putain de prochaine fois.

mercredi 26 janvier 2011

[MUSIQUE] CAN ou comment deux anciens élèves de Stockhausen, un batteur-métronome et un guitariste prodige fondèrent le plus grand groupe de krautrock du Monde

es albums

Le plus grand groupe de krautrock du Monde ? Bah ! Maintenant que la contrainte du titre est derrière moi, je n’ai plus peur de l’emphase et j’ose le clamer haut et fort : il s’agit du plus grand groupe de rock du Monde, ouais, carrément !

Et tant pis si je reçois des lettres d’insulte (sans doute en partie légitimes et argumentées) de la part de fans des Beatles, des Who, des Stones ou encore du Velvet...  (Hé ! Vous avez vu ? Même si je ne suis qu’un humble pion sur l’échiquier de la vie, je raccourcis le nom de certains groupes de rock pour avoir l’air dans le coup ! Le Velvet. Les Stones... Ce qui est bien avec CAN, c’est qu’on ne s’emmerde pas avec ce genre de trucs d’initiés et qu’on dit simplement : CAN.)

Et tant pis si, quelque part caché dans les confins de l’Univers, il existe un groupe de rock meilleur que CAN. Mon jugement, totalement subjectif au demeurant, ne s’applique qu’au monde connu. (Bah oui, évidemment, mon jugement est subjectif. Je connais des gens très bien – et que j’aime au-delà de leurs choix musicaux, heureusement d’ailleurs – qui me diront que Coldplay ou encore l’ignoble U2 – je vais encore me faire plein d'amis – sont des groupes exceptionnels. Et qui suis-je pour juger ? Un simple pion, une merde de mouche dans le Cosmos, hé ouais... Donc je ne juge pas.)

Ce que je dis n’est d’ailleurs pas tout à fait vrai, je suis vraiment incorrigible ! CAN fut le meilleur groupe du Monde seulement entre 1971 et 1973, époque bénie des albums Tago Mago (1971), Ege Bamyasi (1972) et Future Days (1973). Avant et après cette période, ils furent juste la plupart du temps excellents.

"Krautrock" ?

Mais déjà, c’est quoi ce "krautrock" dont il est question dès le titre ? Hé bien c’est un terme qui englobe, de manière assez large, tous ces groupes de rock allemands qui, à la fin des années 60 et surtout dans les années 70, ont développé une sonorité particulière : du rock progressif ; du rock brut (lo-fi dirait-on aujourd’hui) ; du rock psychédélique (ou kosmische Musik en allemand) ; de la musique électronique (ancêtre de l’ambient). Un mélange savant de tout ça... Des groupes comme Faust, Neu!, Amon Düül II, Ash Ra Tempel... et CAN.

Il faudra d’ailleurs que je revienne sur tous ces gens un jour.
Mais c’est une autre histoire.
Car aujourd’hui, on parlera seulement de CAN.

Et vu que mon objectif est de vous faire découvrir ce groupe en douceur et nullement de vous faire fuir à la première écoute, on écoutera CAN calmement : vingt morceaux significatifs [playlist complète]. Seule exception : je n'ai pas résisté à vous faire écouter ce monument d'improvisation expérimentale qu’est "Aumgn", histoire que vous vous fassiez quand même une idée de la partie plus secrète du groupe. Pour le reste, vous êtes assez grands pour en découvrir plus par vous-mêmes si ces quelques morceaux vous parlent.

Donc, voilà, CAN, c’est avant tout quatre gars très doués : Holger Czukay (bassiste) et Irmin Schmidt (claviériste), qui se rencontrent lors de leçons données par le compositeur Karlheinz Stockhausen ; Michael Karoli (guitariste/violoniste), élève de Czukay ; et Jaki Liebezeit (batteur).

Jaki Liebezeit, "the drummer hero"
(www.spoonrecords.com)


Jaki Liebezeit... Retenez ce nom. C’est un des batteurs les plus exceptionnels de l’histoire du rock. Beaucoup moins connu que Keith Moon ou John Bonham, évidemment, mais tout aussi grandiose ! Liebezeit, c’est le cœur du groupe, littéralement. Parce que c’est lui qui donne le battement vital à l’ensemble. Son style est unique : Liebezeit est un véritable métronome d’une redoutable précision ("mi-homme, mi-machine") mais aussi une "pieuvre" qui arrive le plus simplement du monde à donner vie à des rythmes complexes, évolutifs, proches du jazz, voire du funk. Un batteur-métronome funky qui fait du rock. Un génie, je vous dis ! En fait, Liebezeit est encore meilleur que Keith Moon, mais je dis juste ça pour énerver Hoëlle.

Les autres membres ne sont pas en reste : Schmidt arrive à créer des ambiances incroyables avec ses claviers tantôt nébuleux, tantôt expérimentaux. Czukay ne se contente pas de jouer de la basse en arrière-plan : son jeu "éclabousse" la composition et répond constamment à la guitare de Karoli, qui monte parfois très haut. Très, très haut. 
 

Ne restait plus qu’à trouver un chanteur. Ou plutôt des chanteurs. Le premier sera Malcolm Mooney, un Américain à la voix éraillée, qui arrêtera très vite de jouer sur les conseils de son psychothérapeute, qui lui affirmera que la musique de CAN est très mauvaise pour sa santé mentale (!). Il sera remplacé par Damo Suzuki, chanteur japonais illuminé rencontré dans une rue de Munich. Et puis par d’autres, moins marquants.
 

Les débuts en 1968

Le premier album de CAN, Prepared to Meet Thy Pnoom (1968), ne sortira jamais dans les bacs, faute de trouver un producteur assez malade pour publier un truc pareil. Correction : l’album ne sortira jamais sous ce titre-là et à cette époque-là. Cependant, une partie des chansons se retrouveront en 1981 sur l’album Delay (qui signifie "retard" en anglais). Ce qui veut dire que nous avons la chance aujourd’hui de pouvoir écouter ces premiers "essais".

Et ce premier travail sonne déjà extrêmement prometteur... On sent clairement l’influence du Velvet Underground sur certains morceaux (les guitares sur l’inquiétant "Butterfly" ou sur "Nineteen Century Man" par exemple, ou encore le style vocal de Malcolm Mooney sur "Uphill")... Le son est brut, punk avant l’heure. 

Une autre caractéristique terriblement impressionnante : ces morceaux n’ont pas pris une ride plus de quarante ans plus tard. CAN à cette époque crée des chansons intemporelles. Oh, bien sûr, ils portent des pantalons colorés, ils ont des cheveux longs et des rouflaquettes... Mais la musique, elle, n’a pas vieilli.

Pour s’en convaincre, voici deux chansons extraites de ce "premier album". "Thief" (que Radiohead reprendra sur scène beaucoup plus tard, en moins bien) est une tuerie. Mooney donne tout ce qu'il a dans cette chanson ; la mélodie est superbe, simple, limpide. Assez difficile de croire, à son écoute, qu’elle fut écrite en 1968. Dans un style totalement différent, "Little Star of Bethlehem" est un gros trip. Les paroles sont surréalistes. Mooney les déclame avec une facilité déconcertante et avec un peu d’imagination, on pourrait presque parler de hip-hop avant l’heure, de flow, de groove. Ouaip, CAN arrive à concilier l’intello et le groovy.



Les premières armes : Monster Movie (1969) et Soundtracks (1970)

Un an plus tard, CAN sort son "premier" album, Monster Movie : quatre pistes, qui résument déjà très bien leur style : du rock brut, toujours un peu sous l’influence du Velvet Underground ("Father Cannot Yell", "Outside My Door"), une mélodie épurée presque pop, comme celles que l’on rencontrera plus tard sur l’album Ege Bamyasi ("Mary, Mary So Contrary") et une longue plage plus expérimentale mais pas trop ("Yoo Doo Right").


En 1970, paraît l'album Soundtracks, contenant une série de bandes sons (d’où le nom) de films allemands qui n’ont pas vraiment laissé de trace dans l’histoire du cinéma. Malcolm Mooney apparaît seulement sur deux chansons : "Soul Desert" et "She brings the rain", la dernière de l’album, qui sera l'épitaphe de sa participation à la musique de CAN (exception faite de leur "reformation" en 1989). La mélodie de "She brings the rain" est un peu à part dans la discographie de CAN : l’Américain y chante calmement, à l’instar d’un crooner des années 50. L’album contient également "Deadlock", bande son hallucinée d’un improbable western, la presque pop "Tango Whiskeyman", ainsi que la très relevée "Don’t Turn The Light On, Leave Me Alone", bel exemple de ce que CAN fera par la suite : un rythme chirurgical mais détendu, des guitares très planantes et un Damo Suzuki qui incarne la coolitude absolue (mon amie Léandra devrait apprécier).

 


 


Ah, et enfin, Sountracks contient le premier vrai morceau psychédélique au "long cours" de CAN : "Mother Sky". Cette chanson est sans doute plus difficile à saisir à la première écoute mais elle vaut vraiment le détour. On y retrouve l’infatigable Liebezeit qui tient son rythme tribal pendant plus de dix minutes, une basse et une guitare très actives qui se parlent à coup de solos. À un moment, la basse décole réellement, elle devient aérienne (oui, oui, une basse aérienne !) et très difficile à rattraper. Et puis, il y a Damo, qui a toujours l’air de s’en battre royalement et d’être loin, très loin...



Les trois années suivantes constituent l'apogée de CAN, qui revient avec trois albums exceptionnels : l'expérimental Tago Mago (1971), le sexy Ege Bamyasi (1972) et le brumeux Future Days (1973). CAN aura alors un certain (mais néanmoins modéré) succès commercial, qui n’est rien comparé à l’influence que leurs albums auront sur les trente ans de rock à venir. Beaucoup de choses y sont condensées : les rythmes syncopés des années 80 (ceux de Joy Divison, Echo And the Bunnymen ou The Cure pour ne citer qu’eux), les mélopées planantes des groupes alternatifs des années 1990-2000 (Radiohead aurait-il pu composer "How to Disappear Completely" ou "Like Spinning Plates" si des morceaux comme "Oh Yeah" de CAN – voir plus loin – n’avaient pas existé ?), la déconstruction mélodique (déjà présente en musique contemporaine mais faisant son chemin dans le rock avant-gardiste de l’époque), le rock lo-fi (Sonic Youth...), le punk, le post-rock...

La pierre angulaire : Tago Mago (1971)

Tago Mago est un album déclencheur, séminal, novateur. Deux vinyles, quatre faces donc. Le premier disque est une plongée dans un monde différent mais qui reste structuré : la première chanson, "Paperhouse" commence de manière très pop, mais le batteur et le guitariste nous emmènent très vite autre part. Puis vient la répétitive "Mushroom". On pourrait croire de prime abord que la chanson traite des champignons hallucinogènes. Peut-être mais pas seulement : c’est aussi de la bombe atomique dont il s’agit ici, apparemment. D’ailleurs, "Oh Yeah", le troisième et dernier morceau de la face A, commence sur ce qui ressemble à un bruit d’explosion nucléaire. Tago Mago est une bombe. Et ce "Oh Yeah", quelle chanson ! Deux parties : la première où, au-delà des claviers nuageux d’Irmin Schmidt, le chant de Damo Suzuki passe à l’envers ; la seconde où, par delà des guitares étincelantes, les paroles (pour la plupart en japonais) sont repassées à l’endroit. Le batteur quant à lui, inverse le rythme au milieu de la chanson (quel fou !). 

 


La face B est quant à elle constituée d'une seule piste, "Halleluhwah", qui prépare en douceur l'auditeur au second disque fait d'improvisations sous acide. Sur "Halleluhwah", la rythmique structurée et implacable de Liebezeit rencontre une guitare très groove ainsi qu'une série d'expérimentations sonores de la part de claviers hantés, imprévisibles, incontrôlables...

Le second disque est un voyage dans l'inconnu. On y adhère totalement... ou pas du tout. En tout cas, ce n'est pas la facette la plus évidente de CAN.  Je suppose que l'écoute de ce deuxième vinyle est grandement facilitée par la prise de drogues. Faudra que je demande au fou d'essayer et de me faire un compte-rendu. (Personnellement, n'étant qu'un simple pion, je ne touche pas à ça.) Quoiqu'il en soit, CAN fait très fort. Tout commence avec "Aumgn" (mais où vont-ils chercher leurs titres ?), qui prend toute la face A. Ce long morceau, c'est l'équivalent krautrock de "Atom Heart Mother" de Pink Floyd ou de la deuxième partie de "Moonchild" de King Crimson. Ambiance de forêt hantée... La chose commence sur des lignes oppressantes de guitares aiguisées et se termine sur un rythme tribal. Entre les deux, la voix très lente d'Irmin Schmidt qui ne fait que vocaliser le titre de la chanson en continu. Des claviers improvisés, des mélopées, une batterie en retrait, un chien qui aboie (!), comme dans Animals, mais six ans plus tôt. À chaque fois que j'entends ce morceau, j'y décèle quelque chose de différent. Oui, il faut l'écouter de nombreuses fois pour en comprendre la structure déstructurée (ou alors être stone et ça ira tout de suite mieux).

 


"Peking O", sur la dernière face, continue l'exploration d'un univers inconnu, inconscient... Le morceau mériterait à lui seul une place de choix au palmarès des chansons les plus barrées de tous les temps, catégorie "Asile de fous". C'est à la fois un exercice sur le rythme et les structures du rock, en même temps qu'une terrible improvisation. Le chanteur Damo Suzuki est vraiment taré sur celle-là. Il déclame un texte incompréhensible avec un débit très rapide. Il discute avec les instruments. Il est possédé, vraiment. Ensuite, c'est la descente rapide. Très rapide. La fin du trip. "Bring Me Coffee or Tea", dernière chanson de l'album, symbolise le retour à la normale. On revient au style du premier disque... C'est l'heure du café ou du thé (ce sera un café pour moi, merci). Et l'auditeur, selon qu'il adhère ou pas à ce genre de musique, reste estomaqué par temps d'aisance... ou bien simplement déçu. 



C'est le problème avec tout album exceptionnel : soit on entre entièrement dedans, soit on reste à l'extérieur et on se demande ce que les autres peuvent bien lui trouver...

Deux albums magiques : Ege Bamyasi (1972) et Future Days (1973)

Holger Czukay et Damo Suzuki
(www.spoonrecords.com)


Ege Bamyasi continue sur la lancée de son excellentissime prédécesseur, mais en beaucoup plus "pop" (toutes proportions gardées). À l'exception de "Soup", qui poursuit l'expérimentation, un peu à la manière de "Peking O", les autres chansons sont plus faciles d'accès. Ege Bamyasi ne révolutionne pas la musique de CAN. Au contraire, il la conforte, le plus simplement du monde. Le plus fabuleux dans cet album est cette impression de maîtrise totale des instruments, un sentiment de symbiose : la musique devient un flot, une rivière qui nous entraîne, parfois calme (comme sur "Sing Swan Song"), parfois tumultueuse...

Dans cet album, le jeu de Jaki Liebezeit devient d'ailleurs encore plus "coulant", plus jazzy, plus funky que sur le précédent opus (écoutez "Pinch", notamment). Sur "One More Night" néanmoins, il conserve son statut d'homme-machine. Vers la deuxième minute de la chanson, il intercale dans son jeu de métronome un tempo différent. 

Ce batteur est incroyable, mais je vous l'ai déjà dit, je pense, non ?



L'album contient également deux des courtes mélodies les plus entraînantes de la discographie de CAN : "Vitamin C", avec son bref jeu de guitare aérienne très stylée, hyper-moderne, et le très cool "I'm so green". Ege Bamyasi se termine sur "Spoon", dont le single fut un succès commercial en Allemagne et dont le rythme très spécifique est la combinaison d'une boîte à rythme et du jeu du batteur.




 

Puis viennent, un an plus tard, les brumes élégantes de Future Days. Si Ege Bamyasi est une rivière aux multiples courants, alors Future Days est un lac paisible. Et de ce fait, l'album est beaucoup plus difficile à appréhender, car une écoute distraite aura pour principal effet de donner à l'auditeur l'impression qu'il ne s'y passe pas grand chose. Erreur, erreur ! Cet album est fabuleux, feutré, déroutant, rempli d'expérimentations sonores intemporelles qui sortent d'un chaud brouillard. Sur les quatre titres de l'album, un seul fait exception à cette règle : "Moonshake", qui rappelle le groove d'Ege Bamyasi.



"Future Days", qui ouvre l'album, et "Bel Air", qui le clôt, sont deux chefs-d'œuvre de l'ambient. Damo Suzuki y chante en arrière-fond, d'une voix éthérée et lointaine. Les claviers sont nuageux, sans âge. Chants d'oiseaux, bruits d'eau... La forêt angoissante de "Aumgn" s'est transformée ici en un endroit très accueillant : un chalet, une retraite dans les bois, un lieu de convalescence au bord d'une eau calme... Enfin, "Spray" laisse une grande place à l'improvisation : des mélodies, des rythmes émergent de temps en temps, puis se fondent dans autre chose. "Spray" est un morceau impalpable par excellence et mille écoutes ne suffiront pas à en cerner tous les contours.



Un déclin progressif (1974-1979)

À la suite du départ de Damo Suzuki après l'enregistrement de Future Days, les musiciens de CAN décident de se passer de chanteur et de s'occuper eux-mêmes des voix. C'est  parfois assez réussi, malgré le côté un peu comique des paroles anglaises chantées avec l'accent allemand. Le chant perd par ailleurs le côté halluciné que lui imprimaient Mooney et surtout Suzuki.

Le dernier tout grand album de CAN est à mes yeux Soon Over Babaluma (1974), mais tout ceci, encore une fois, est forcément subjectif. C'est un album assez complexe, mêlant, comme à leur habitude, des morceaux funky ou jazzy (comme "Splash", très free jazz, ou le terriblement prenant "Dizzy Dizzy" qui ouvre l'album, avec Karoli au violon) et des expérimentations, notamment sur  les rythmes (ha, le magnifique "Chain Reaction" où, à 3:45 et 8:05, le rythme est cassé d'un seul coup et passe du chaos à un contrôle presque mathématique). Enfin, "Come Sta, La Luna" est un drôle de tango, sombre et lunaire... Encore cette impression de forêt hantée, au crépuscule (on entend un corbeau croasser, quelquefois).





Après cet album, CAN perdra, à mon sens (et je ne suis pas le seul à le penser), sur beaucoup de morceaux, son côté intemporel en se rapprochant un peu trop du rock progressif "traditionnel", de la musique du monde et du reggae. N'allez pas dire ce que je n'ai pas dit : CAN reste toujours un très bon groupe, capable de fantastiques  instrumentations, de rythmiques primitives particulièrement accrocheuses... Et sa musique continuera d'influencer de nombreux groupes (les Talking Heads,  par exemple)... Mais, personnellement, j'accroche moins. C'est peut-être parce que, étant toujours en avance sur son temps, le son de CAN, à partir de 1975, préfigure une certaine branche de la new wave ou de la world music des années 80, que j'ai un peu de mal à digérer.

Qu'importe ! Après Soon Over Babaluma, CAN sera encore capable de moments vraiment fabuleux. Pour Landed (1975), le groupe composera un morceau-fleuve, "Unfinished", une longue plage instrumentale glaciale. Sur Flow Motion (1976), à côté de certains titres que je trouve assez insipides (comme l'horrible tube disco "I Want More" – m'enfin, c'est quoi ces synthétiseurs ridicules ?), on trouvera un terrible "Smoke (E.F.S. No. 59)" aux batteries inquiétantes.





Sur Saw Delight (1977), un dernier sursaut magnifique avec "Animal Waves" : un voyage planant de plus de quinze minutes, à cheval sur plusieurs mondes... Les nuages de Schmidt croisent des mélodies aux accents plus orientaux, arabes ; les rythmes froids, rapides et chirurgicaux de Liebezeit se mélangent allègrement à des rythmes africains beaucoup plus chauds ; la basse saute dans tous les sens ; les solos de guitare sont aiguisés... C'est la bande son que je choisirais sans aucune hésitation pour illustrer le monde de Dune de Frank Herbert : quand j'entends "Animal Waves", j'imagine presque à chaque fois un fremen voyageant à dos de ver géant sur les sables d'Arrakis. Mais c'est une autre histoire, que je vous raconterai une autre fois. (Faudrait que je pense aussi sérieusement à raccourcir mes posts sur ce blog, tant que j'y suis.)



Sur leurs trois derniers albums, Out of Reach (1978), Can (1979) et Rite Time (1989, marquant le retour très tardif de Malcolm Mooney aux chants), CAN a été rattrapé par le temps et ces trois albums sont en grande partie réservés aux fans purs et durs. L'époque sans âge des Tago Mago et autres Future Days est morte. C'est la vie. Pour clore ce sujet (bien long déjà, arf !), on retiendra un vingtième et dernier morceau : "November" sur Out of Reach, dont je préfère la version intitulée "Mighty Girl", au piano plus prédominant, enregistrée dans le cadre des Peel Sessions (album édité en 1995 et regroupant des morceaux enregistrés entre 1973 et 1976).


En guise d'épitaphe : que sont-ils devenus ?

Michael Karoli est mort d'un cancer en 2001. C'est la vie.
Holger Czukay a débuté une véritable carrière solo (plus de vingt albums !) et est devenu un des pionniers du sampling.
Jaki Liebezeit a joué de la batterie pour de nombreux musiciens dont Depeche Mode (sur "The Bottom Line") et Brian Eno. Plus récemment, il a travaillé avec Burnt Friedman sur le projet Secret Rhythms. Il est plus sage devant ses caisses mais toujours aussi bon !
Irmin Schmidt a continué une carrière solo, composant de nombreuses musiques de films et de séries.
Malcolm Mooney a repris sa vie d'artiste aux États-Unis, participant à de nombreuses expositions.
Damo Suzuki a marié une témoin de Jéhovah et a quitté la musique en 1974. En 1983, il est "revenu" et a fondé son propre groupe  : Damo Suzuki's Network.

mardi 25 janvier 2011

[HUMEUR] Déballage. Youpie !


Je démens vigoureusement : jamais au grand jamais (même devant une baraque à frites), je n'ai dit que les messages de Hamilton étaient trop cérébraux. J'ai dit qu'ils me fichaient la honte, à être si bien argumentés, si sérieux, si pas dans le ressenti facile comme les miens.

Et voilà que le Noctambule nous sort un "débriefing" tout sensible, tout court, avec des chants d'oiseaux. C'est joli, j'aime bien. Et aussi, pour moi, c'est décomplexant.

(Entre-temps, j'ai vu que le Fou nous avait carrément fait le coup du concombre : je suis complètement rassurée. Je peux me permettre de l'hyper factuel. Une liste - l'autre fait bien des schémas avec de la cucurbitacée dedans !).

Pour mon anniversaire, j'avais commandé un escargot mort. Mais mes amis ne sont pas cruels envers les gastéropodes (j'aime les noms de familles biologiques aujourd'hui, et je l'assume complètement).

Alors, à la place, j'ai reçu :

- Un joli beurrier en forme de voilier (je n'aime pas le beurre, mais j'aime avoir une table bien dressée quand je reçois).
- Des fleurs qui sentent bon.
- Une belle boîte/tabouret avec des dessins asiatiques que je zieutais depuis des mois dans une boutique à côté de la Bourse.
- Un dessin d'un ange au milieu d'étoiles biscornues (peut-être un portrait de moi ?).
- Deux CD de Keren Ann (dont le superbe La Disparition, avec ma chanson fétiche : Le Sable mouvant).
- Des mini-cocottes Le Creuset, qui coûtent un pont. Roses, irisées, très mignonnes (merci Choupinou). Et le livre de recettes "déjà plus de 100 000 exemplaires vendus" qui va avec.
- Un cake au chocolat du Pain quotidien (moins bon que mon fondant en forme de cœur) et 23 bougies qui ne s'éteignent pas quand on souffle dessus, ces saloperies.
- Une grande bouteille de Chimay bleue, un stock d'autres alcools et une plaquette de Dafalgan (un gramme, sinon ça ne sert à rien).
- Le clou du déballage : un livre psychomachin, gentiment dédicacé, et intitulé : "La répétition amoureuse. Sortir de l'échec" (un message caché ?).

J'adore les petits cadeaux qui sont comme des clins d'œil. Ça prouve qu'on me connaît bien, et j'aime ça (je suis une fan de la connivence, c'est ma came - plus encore que tous ces alcools qu'on m'a offerts comme à une poivrote, comme ma grand-mère donnait une farde de cigarettes à mon papa pour sa Noël).

Mes parents préfèrent m'offrir des gros cadeaux pour mon anniversaire (ce qui m'arrange bien). Mais ils sont aussi très forts pour faire dans les "cadeaux à messages"…

Pour mes 30 ans (oui, bon, il y a des incohérences dans mon texte, et alors ?), j'avais reçu un vélo d'appartement. Genre : "Mets-toi au sport, il est grand temps si tu ne veux pas finir vieille fille dévorée par sa cellulite". Ceci dit, il est super, ce vélo. Juste un peu encombrant. Et il a une fâcheuse tendance à prendre vite la poussière, je ne comprends pas pourquoi…

L'année passée, j'ai reçu truc en rapport avec la cuisine (un mixer ? un robot ménager ?). Genre : "Les hommes, à ton âge, ma fille, il faut les attirer par le ventre, y a plus d'autre solution". Comme j'adore cuisiner (pour les autres), c'est plutôt bien passé...

Alors cette année, ils m'ont carrément acheté… une télé ! Avec écran plat, grise, très jolie et très sophistiquée (je ne regarde presque jamais la télé). Le message que j'y vois est clairement celui-ci : "C'est bien, ma puce (car ils m'appellent ma puce, oui), tu sors, tu multiplies les rencontres, mais fais attention à toi. Reste un peu chez toi quand même parfois. Tu vas finir par t'épuiser et attraper des cernes en dessous des yeux".

Ils n'ont pas tort. J'exagère un peu, en ce moment. Je joue avec ma santé. Par exemple, ce n'est pas une heure pour aller se coucher alors qu'on bosse demain... Je n'ai plus 20 ans, hein (malheureusement).

Ah oui, quand même, un dernier truc.
Pour mes amis qui lisent ce blog (car je suis incapable de garder un blog secret, fût-il celui où je ne suis qu'une invitée) : MERCI
(Je n'ai plus 20 ans, mais je mets encore des cœurs, parce qu'il y a pas d'âge pour être nunuche...).

[SCIENCE] Le concombre, trou noir du goût


Note préliminaire pour tous les assoiffés de sexe qui parcourent la Toile de long en large : ce n’est pas parce que ce sujet traite de concombres et de trous noirs qu’il faut directement y voir une allusion au cul. On parle de cuisine dans ce post et rien que de cuisine. De même, l’adjectif "préliminaire" est ici associé à "note", au cas où vous ne l’auriez pas remarqué. Pfff... Mais c’est pas croyable, ça, mon bon Monsieur, mais-dans-quel-monde-vivons-nous, je vous le demande ? Que des pervers, que je vous dis.

Voilà. Vous êtes prévenu.

Pour débuter ce sujet on ne peut plus sérieux, je vous propose de faire une petite expérience scientifique qui aura pour but de vous montrer de manière totalement ir-ré-fu-ta-ble-oui-Madame l’extraordinaire acuité de mes propos à venir : prenez deux tranches de pain ; tartinez-les chichement de moutarde, ajoutez du fromage, recouvrez-les d’une délicieuse salade de votre choix (de la roquette par exemple – ça a beaucoup de goût, la roquette), poivrez... Vous obtiendrez ainsi une succulente tartine, au goût prononcé et relevé par la moutarde et le poivre. Vous pouvez la déguster, si vous ne me croyez pas sur parole !

Ha, mais me direz-vous, vous n’aimez ni la moutarde, ni le fromage, ni la roquette ? Pas grave : tartinez alors votre pain avec l’accompagnement de votre choix.
Quoi ? Vous n’aimez pas le pain non plus ? Hé bien allez vous faire foutre.

Mais je m’égare. Hem... Désolé.
Nous arrivons à la deuxième partie de notre expérience...

Vous avez donc une délicieuse tartine au délicieux goût de fromage moutardé (ou au goût d’autre chose). Maintenant, ouvrez la tartine et placez (après avoir recouvert au préalable votre main d’un gant en plastique) une minuscule tranche de concombre en son centre. Refermez. Patientez quelques secondes (pas besoin de plus). Enlevez le concombre et jetez-le à la poubelle. Il n’y a plus de concombre dans la tartine. Intérieurement et esthétiquement, la tartine est redevenue exactement comme avant l’insertion du morceau de concombre.

Mais... Mais... Mais... Il y a un "mais" ! Sur le plan du goût, le concombre, lui, est toujours là, le petit salopiaud ! Et il restera là à jamais. Le ridicule morceau de concombre a phagocyté à lui tout seul tout le goût du sandwich : la moutarde a le goût de concombre, le fromage a le goût de concombre, le poivre a le goût de concombre, la salade a le goût de concombre, le pain (!) a le goût de concombre. Le plus triste, dans cette histoire, c’est que le concombre n’a aucun goût. Ou plutôt : si, il a un goût mais ce goût est intrinsèquement un non-goût.

Et ce n’est pas tout : il y a de bonnes chances pour que le contenu de la poubelle dans laquelle vous avez jeté la tartine ait également un goût de concombre désormais. Néanmoins, je n’ai jamais poussé l’expérience jusqu’au point de consommer ma propre poubelle pour prouver mes dires. Il va falloir me croire sur parole. Mais j’en suis certain. C’est évident.

La raison de tout cela est la suivante : en cuisine, le concombre agit sur le goût des aliments comme, en astronomie, un trou noir* sur la lumière : il l’absorbe. Le concombre constitue dès lors une réelle singularité physique qui crée autour d'elle ce qu’on pourrait appeler un "horizon gustatif". À l'intérieur de la surface délimitée par cet horizon, le concombre exerce un pouvoir d'attraction absolu et aucun goût ne peut s’en échapper. Cette idée est reprise sur le schéma suivant :

Schéma n° 17 : L'horizon de Schwarzschild du goût

Le concombre a une autre caractéristique très curieuse : si vous le placez comme ingrédient majeur de certaines préparations, il participe activement au goût de la préparation et peut devenir très bon. Un exemple ? Le tzatziki, composé en majeure partie de yaourt, de concombres, d’oignons et d’ail, est un met succulent. Pourquoi ? Parce qu’il existe des aliments, comme l’ail justement, qui sont tellement forts qu’ils annihilent l’effet "trou noir" du concombre.

C'est incroyable.

Ce qui est encore plus incroyable, c'est que je connais des gens qui adore le concombre en toute circonstance, même en dehors du tzatziki ! Quand je leur parle de cet effet "trou noir" , ils me regardent avec des grands yeux et hurlent que je suis fou. Ils me disent : "mais c'est pourtant délicieusement bon, un concombre !". J'en connais même une qui bouffe cette horreur, comme ça, sans aucun assaisonnement.

Incroyable. Tout simplement.
Depuis, je fuis cette humanité qui aime les concombres.
Je me suis construit un bunker où tout plat aux concombres (à l'exception du tzatziki) est rigoureusement banni !
Et j'ai créé ce blog pour occuper mes soirées et surtout mes nuits solitaires.

La semaine prochaine, nous parlerons de la pastèque, ce trou noir du goût².

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* En astrophysique, un trou noir est un corps tellement dense que son champ gravitationnel empêche toute lumière de s’en échapper.

dimanche 23 janvier 2011

[HUMEUR] Bruxelles, 23 janvier 2011, six heures du matin


Fond sonore conseillé pour lire ce post :
Leb Wohl by Neu! on Grooveshark

L'anniversaire (en retard) de Léandra.
Une soirée (réussie) chez elle avec des amis que j'apprécie énormément.
Une sortie (réussie également) dans un bar celtique du Centre-ville.
D'autres pensées. D'autres propos. Peu importe.

Et le retour.

Durant la soirée, Léandra me dit : "Hamilton, tu devrais peut-être entrecouper ton blog avec des messages plus courts et moins cérébraux" (elle ne me dit pas du tout ça, mais l'idée est clairement exprimée).
Elle a raison, comme toujours.
Léandra a toujours raison.

Et me voilà penché à la fenêtre de ma chambre, au quatrième étage d'un appartement forestois. Il est 5h44. Émilie dort paisiblement dans la chambre d'à côté. Et moi, je ne dors pas. Est-ce que je dors parfois ? Oui, je suppose que je dors... Parfois.

Je me suis fait un café, évidemment.
Un café noir, noir comme une nuit sans lune.
La vie est tellement belle la nuit.

Le silence nocturne est entrecoupé par le chant des oiseaux.
C'est la fin du mois de janvier et les oiseaux chantent déjà !
Je ne sais pas d'où ils chantent, ni pourquoi ils chantent, mais ils chantent...
Toutes les minutes environ, une voiture (un taxi, souvent) passe.

Des souvenirs de soirées universitaires me reviennent forcément à l'esprit : ce retour un peu brumeux vers mon appartement de l'époque, situé en lisière du bois de la Cambre, avec (déjà) ces merveilleux chants d'oiseaux...

Il ne m'en faut pas beaucoup plus pour être heureux.

Nul besoin de chanter, ni de danser.
Nul besoin de frimer.
Nul besoin de courir dans tous les sens.
La présence de gens que j'aime suivie de la douce noirceur de la vie nocturne (et du café) suffisent à mon équilibre.

Ou presque...

mercredi 19 janvier 2011

[HUMEUR] Ce n'est rien


Hier, c'était mon anniversaire.
Cela vaut-il le coup d'écrire sur une date dans un calendrier ?

N'est-il pas déplacé de s'appesantir sur le temps qui coule, alors qu'il y a tellement d'autres choses intéressantes à raconter ?


J'avoue que j'ai quelques scrupules à tenir le rôle qui m'a été donné ici : parler de petites choses personnelles et sentimentales. Surtout après le long et bel article de mon cher Hamilton (qui nous fait toujours découvrir des univers merveilleusement géniaux - mais sombres). Je crains de passer pour une fameuse cigale, en comparaison avec son travail de fourmi…

MAIS c'était mon anniversaire hier. Je suis la reine. Je peux. Alors…
Un lieu commun. "Trente ans, le plus bel âge pour une femme".

On dit ça uniquement parce que c'est le moment où, statistiquement, les femmes deviennent des mères. Je suis peu disposée à penser qu'il y ait une autre explication.

Quel intérêt y a-t-il à voir se raccourcir le temps qui nous sépare de la tombe ? Quel charme peut-on trouver dans des rides aux coins des yeux et de la bouche ? Quel avantage retirer d'un corps qui se fatigue plus vite et se remet moins bien des excès de la veille ?
Aucun : c'est évident. Obvious. Vanzelfsprekend (il s'agit juste d'un clin d'œil, je prends actuellement des cours de langues : "Un si mauvais niveau d'anglais et de néerlandais à ton âge, c'est pathétique", m'a-t-on dit récemment).

N'ayez crainte, je n'ai pas l'intention de faire le coup de la crise de la trentaine ici.

Tout d'abord, c'est largement dépassé. Et puis, je fêtais mes 23 ans hier. Le ciel bleu avait envahi le royaume et les gens s'ébrouaient aux terrasses des cafés, exactement comme je l'avais prophétisé. Alors on s'est saoulés…

Je repense à la chanson de Jacques Brel, celle qui dit que mourir n'est rien. Je repense au poème de Rimbaud, celui qui chante qu'on n'est pas sérieux, car j'ai souvent l'impression d'être à peine sortie de l'adolescence.

(Mes références ne sont pas très originales, ni savantes : un chanteur national, un poète qu'on aime quand on a 17 ans, justement. Contrairement à Hamilton, je ne suis bonne qu'à faire dans le mainstream... et à raconter des histoires).

Une histoire, une histoire ! Allez, une petite. Une historiette.
Une histoire d'anniversaire ? Il y en a tant…

C'était le premier anniversaire de la petite fille de mon cousin. Une charmante gamine, avec des yeux expressifs et un air heureux.

Sur la table : de la tarte, du café (jamais de thé), une bouteille de vin pour douze (on ne boit pas dans la famille, c'est bien connu). Des discussions sur les programmes télé. Et d'innombrables souvenirs d'enfance qui sonnent chaleureusement, mais qui ne m'évoquent jamais rien (je parlerai un jour de ces problèmes de mémoire : ça me tracasse beaucoup - et là je pense à la chanson de Jeanne Moreau).

Je ne sais jamais trop quoi dire dans ces réunions de famille. Mon job est compliqué, j'habite à Bruxelles. Il n'est pas de bon ton de parler des amis, alors que c'est tout ce qui fait ma vie. Il est donc difficile pour moi de trouver des questions à aborder.

Le temps qui passe est un sujet glissant, mais il y avait du verglas ce jour-là, alors j'y ai dérapé…
J'ai demandé : "Quand on a des cheveux blancs, comment ça se passe ? Je veux dire, est-ce que les cheveux blancs poussent blancs, ou est-ce que les cheveux châtains blanchissent ?".

Je n'attendais pas de réponse, encore moins une démonstration. Je voulais juste faire celle qui participe à la conversation.

Ma tante s'est approchée de moi et m'a dit : "Mais tu devrais le savoir. Tu en as déjà, des cheveux blancs, Léandra".

Et pour le prouver, elle me l'a arraché. Devant tout le monde (c'était un peu obscène, en fait). Le seul que j'avais (c'est vrai !). Mais un bien épais. Bien blanc. Je l'ai à peine senti, tellement il s'est cassé facilement. Elle l'a déposé sur la table, entre le sucrier et les tasses de café.

Je n'ai pas aimé ça, du tout (même si j'ai fait semblant de rien).

(De cet anniversaire, j'aurais aussi pu raconter le visage triste de ma mère, quand elle me regardait jouer avec la petite fille de mon cousin. Elle est tellement mignonne, cette enfant... Je fais ça très bien, m'occuper des enfants des autres. Et ce sont peut-être des larmes que j'ai vues dans les yeux de ma maman, qui désespère de devenir grand-mère un jour - je la comprends, mais je ne peux rien y faire).

Quelle tristesse. Je ne l'avais pas vue venir, cette calamité… L'âge. J'étais trop occupée à passer mes nuits avec des anges, ou des démons.

"Mourir, cela n'est rien", dit le chanteur national. Mais vieillir. Oh vieillir.

(Je repense aussi à la chanson de Renaud, sur cet album de trop, que personne n'aime : "Putain de cheveu blanc, putain de cheveu blanc", puis : "Moi qui croyais vivre l'éternel printemps". Il dit en substance que ça n'a pas d'importance. Mais quand même, il en a fait une chanson. Et puis lui, c'est différent : c'est un homme).

Voilà, ce coup, bien que futile, vaut bien une pièce noire. Un peu de poivre pour aller avec le sel de ma future tignasse.
Oh et puis non : demain, je fais une colo. Rouge, je crois.

(Souvenir d'une belle soirée "vinyles" avec Hamilton, cette vidéo).