Mes chers amis, mes chers confrères, chers
étudiants, chers vieillards là-bas-au-premier-rang-qui-comblez-vos-journées-monotones-en-assistant-à-des-conférences-universitaires,
c’est avec un plaisir non dissimulé que je vous retrouve en ces lieux
prestigieux pour vous parler d’un sujet qui, comme souvent, a accaparé mes
recherches durant la quasi-totalité de l’année académique courante. Cette
fois-ci, nous traiterons de l’homéopathie appliquée à tous les domaines de
l’existence.
Vous connaissez tous l’homéopathie, je suppose ?
Pardon ? Oui, jeune homme ? Comment ça, "c’est la médecine par
les plantes" ? (Soupir.) BON
SANG, je vous avais pourtant distribué une note explicative en début de
session ! C’est pas POSSIBLE, un truc pareil ! Pourquoi je passe
encore mon TEMPS à écrire des notes explicatives, BORDEL ? (Le professeur Evenvel prend une chaise en
bois sur l’estrade et la fracasse sur le tableau noir pour se défouler un bon
coup. Car le professeur Evenvel est assez colérique, en fait ! Mais
revenons à son passionnant monologue.)
Je vais devoir reprendre tout depuis le début, alors. (Grande respiration.) Le processus homéopathique
utilise des essences de plantes, oui. Mais "l’allopathie", pour
reprendre le terme de Friedrich
Hahnemann, fondateur de l'homéopathie, s’intéresse,
elle aussi, aux plantes pour... Hein ? Comment ça, "c’est quoi
l’allopathie ?". C’est dans les NOTES ! Est-ce que quelqu’un
peut faire SORTIR ce jeune homme, s’il vous plaît ? Merci. (De nouveau une grande respiration.)
Reprenons... Beaucoup de gens pensent que
l’homéopathie est synonyme de "médecine par les plantes". Ils
confondent en fait l’homéopathie avec la phytothérapie. Ils sont à côté de la
plaque, les pauvres. Comme nous allons le voir, les deux grands principes de
l’homéopathie sont la similitude et la dilution.
La similitude
d'abord. C'est un principe un peu ridicule, quand on y réfléchit bien. Ça
consiste à dire que si vous êtes malade, vous pouvez être soigné avec une
substance qui produit, sur un organisme en bonne santé, les mêmes effets que la
maladie ("homéo" vient du grec homoios, qui signifie "le même",
"similaire"). Similia similibus curantur, disait Hahnemann. Les semblables sont guéris par les semblables...
Pardon, Madame ? "Un peu comme un vaccin ?", dites-vous ? Mais...
Mais... Argh... Les VACCINS, Madame, constituent une prévention et non une
thérapeutique. Les vaccins permettent au corps humain de stimuler les défenses
immunitaires contre un agent infectieux à venir. Ça
n'a rien à voir. Non, Madame, ça n'a RIEN à voir. En plus, dans un vaccin, il y
a un principe actif, alors que dans une solution homéopathique, il n'y a rien.
Oui, oui, RIEN. J'y arrive, si vous voulez bien me laisser continuer ma
conférence. Merci.
La dilution (ou dynamisation) ensuite. Le
problème avec ces produits qui ont les mêmes effets que la maladie, c'est qu'ils
sont toxiques. Hé oui. Du coup, il faut les diluer. Il faut tellement les
diluer qu'il ne reste statistiquement plus une seule molécule du produit dans
la solution après la dilution. La dilution fonctionne de cette manière : vous
prenez une goutte d'un produit donné (la
solution-mère) et vous la mélangez à 99 gouttes de solvant (de l'eau, très
souvent). Vous obtenez un dosage de 1CH ("centésimale hahnemannienne").
Puis, à partir du premier mélange, vous recommencez : une goutte de ce
mélange pour 99 gouttes de solvant (2CH). On peut aller ainsi couramment
jusqu'à 30CH, soit l'équivalent d'environ un millilitre de solution dilué dans
un cube d'eau d'un milliard de milliards de mètres de côté.
Ça, tout le monde le sait. Ou
devrait le savoir.
Venons-en donc, après ces quelques explications, au
cœur de notre sujet : l’homéopathie
en tout. Le concept est le suivant : vu que des solutions homéopathiques,
sans aucun principe actif donc, sont quand même curieusement achetées par des
patients qui croient dur comme fer à leur efficacité, pourquoi ne pas appliquer
l’homéopathie à d’autres branches de l’activité humaine ? Et j’irai encore
plus loin, Mesdames-z-et-Messieurs :
pourquoi ne pas l’appliquer à tous les domaines de l’existence ? Quelques
exemples ne sont pas de trop pour vous montrer l’essence même de mon projet
mégalomane.
Politique. Démarche : vous
prenez une théorie ou un programme politique fort (comprenez : de refonte
globale de la société) et vous lui appliquez le principe de dynamisation. Pas
besoin d'aller jusqu'à 30CH. Prenez par exemple le concept de lutte des classes
ou de révolution prolétarienne que l’on retrouve de manière très marquée chez
les socialistes révolutionnaires du XIXe siècle. Vous diluez tout ça dans
beaucoup de solvant, jusqu’à au moins 3CH, soit l’équivalent d’une goutte de marxisme
pur et dur pour 999.999 gouttes de grand n’importe quoi. Vous obtenez dès lors
un "socialisme homéopathique" très mou aligné grosso modo sur les théories néolibérales de flexibilité de la
main-d’œuvre et de privatisation des services publics. Et ça fonctionne aussi
avec les hommes politiques ! Jean Jaurès dilué à 6CH, ça donne Elio Di
Rupo. Pierre-Joseph Proudhon dynamisé (ou dynamité ?) à 12CH, ça donne
Manuel Valls. Paul Lafargue à 40CH, ça donne Milton Friedman ou Margareth Thatcher.
Me situant très à gauche sur l’échiquier politique, je vous avouerai que ce
genre de dilution des valeurs ne me plaît guère, mais là n’est pas la question.
Religion. Même démarche : vous
prenez une religion très hardcore, si
vous voyez ce que je veux dire. Du genre : un culte dont les membres
préfèrent se faire crucifier, empaler, rouer, percer de flèches, brûler vifs, écarteler
ou écrabouiller par une meule plutôt que de renier leur dieu. Ou bien une
discipline dont les fidèles doivent rester assis sur une colonne pendant des
semaines entières, sans rien dire, sans rien faire : juste méditer,
manger, boire et faire pipi/caca de temps en temps (mais comment
faisaient-ils ?). Dilué à 1CH, cette même religion deviendra du
pseudo-bouddhisme New Age inoffensif
et un peu nunuche, si vous me
permettez l'expression ; à 2CH, du déisme ; à 3CH, de l’agnosticisme ;
à 4CH, de l’athéisme... À 5CH, il ne restera tellement plus de religion que
même le baron d'Holbach himself en serait totalement retourné.
Personnellement, je me situe sur le plan religieux entre le 4CH et le 5CH et je
ne m'en porte pas trop mal, merci.
Alcoolisme. Ici,
nous appliquerons à la fois le principe de similitude et de dynamisation. Similitude : pour guérir l’alcoolisme,
nous allons utiliser un produit qui a sur un organisme sain les mêmes effets
que l’alcool sur un alcoolique. Ce produit miraculeux, c’est... l’alcool. Bah oui,
l’alcool... Si une personne sobre boit beaucoup d’alcool, son corps a priori sain subira les effets de
l’alcoolisme. C’est d’une logique implacable. Le problème, c’est qu’on ne peut
guérir l’alcool par l’alcool pur. Du coup, il
faut diluer ! Un alcoolique devra donc prendre, pour se soigner, une dose
homéopathique d’alcool : de l’alcool dilué à 9CH, soit l’équivalent
d’environ un mètre cube de calvados dans l’entièreté des océans de la Terre, me semble un bon
compromis. Dès lors, ce que l’alcoolique en cure de désintoxication
homéopathique boira sera seulement de l’eau, en réalité. Pardon Monsieur ?
"Pourquoi ne pas lui donner directement de l’eau, alors ?".
C’est une très bonne question. La réponse est très simple : l’eau est bon
marché, alors que le produit homéopathique à base d’absence d'alcool que nous facturerons
à l'alcoolo de base sera, lui, beaucoup plus cher. L’homéopathie est une
fabuleuse théorie pour se faire un max de blé à partir de rien.
Sexe. Durant ces trois dernières
années, j'ai testé pour vous, et seulement à des fins d'expérimentation (je
sers la science et c'est ma joie), la relation sexuelle à dose homéopathique.
Conclusion : ça n'a aucun intérêt et c'est très ennuyant. Le sexe dynamisé à
1CH seulement est déjà très peu convainquant. À 7CH (l'équivalent d'un orgasme
dans le volume total du Lac Léman), on devient un peu frustré. À 30CH (un instant de plaisir dans l'ensemble de l'Univers
connu), on ne ressent plus rien du tout. Conclusion de cette (trop) longue
expérience : en matière sexuelle, l'allopathie reste la règle absolue. Quant au principe homéopathique selon lequel "les semblables sont guéris par les semblables",
euh... Désolé, étant hétéro et non homéo, je n'ai pas testé.
Tueurs en série. Les
psychopathes et autres tueurs en série pourraient être convertis, pour le bien
de tous, à l'homéopathie. En effet, si ces assassins pouvaient être convaincus
qu'il est plus sage (et plus sympa pour la victime, aussi, soit dit en passant)
de découper une jambe dynamisée à 10CH (soit l'équivalent d'un micron de racine
de poil de jambe) plutôt qu'à 0CH (la jambe entière), le Monde ne s'en
porterait certainement pas plus mal.
Lunettes.
Imaginez le bénéfice que pourrait tirer un opticien ne vendant QUE des lunettes
ou des lentilles homéopathiques. La technique de production de tels produits se
bornerait simplement à la fabrication de verres à la dose homéopathique
standard, soit 30CH, soit encore une unité de verre pour 10³³ gouttes de néant. Bon,
d'accord, le presbyte homéopathe se prendrait constamment des portes dans la
figure et le myope homéopathe aurait du mal à suivre un film au cinéma, mais
quelle économie de matériaux cela constituerait...
Scoutisme. Je hais les scouts,
surtout quand ils sont en bande organisée (ce qui est très souvent le cas, vu
qu'ils sont scouts, justement) et qu'ils gueulent dans les trains. Dès lors,
j'ai créé, au sein de mon module de recherche, un groupe de travail spécifique
dont le but est de plancher sur une solution homéopathique à ce que j'ai pris
l'habitude d'appeler le plus sérieusement du monde le "problème
scout". L'objectif est d'arriver, sur les deux premières années du
programme, à une dilution à 2CH des scouts dans les trains (1 scout pour 9999
navetteurs "normaux" qui n'ont rien demandé à personne, si ce n'est
de pouvoir dormir ou lire leur journal en paix), pour à terme arriver à une
dynamisation de 5CH, soit un scout pour environ 10 milliards d'habitants, soit
encore grosso modo un demi-scout pour
la totalité de la population terrestre actuelle. Une fois le problème scout résolu, nous
plancherons sur les détraqués qui dérangent les gens dans les transports en
commun (voire dans leur appartement) en écoutant de la musique (forcément)
débile, et enfin sur les beaufs (gros travail pour notre groupe de recherche
car il y a encore plus de beaufs que de scouts ou d'anti-mélomanes).
Homéopathie. Enfin,
pour terminer cette conférence par une lueur d'espoir, nous proposons au final d'appliquer la dilution homéopathique à
l'homéopathie elle-même. À savoir : prendre toute cette pseudo-science à
deux balles faite de néant absolu et la dynamiser à 30CH, 40CH, voir même 256CH,
histoire que même s'il existe des univers parallèles au nôtre, l'homéopathie ne
puisse jamais en faire partie.
Je vous
remercie.
(Applaudissement d'une partie de l'auditoire.)
(Huées de l'autre partie.)
Ah oui,
j'oubliais : je n'en ai rien à cirer que vous soyez d'accord ou pas.
Cela dit,
si vous avez d'autres idées d'homéopathie appliquée à un domaine de l'existence,
n'hésitez néanmoins pas à me les communiquer... Je me ferai un plaisir de les
étudier et de les citer dans mes prochains travaux !
(Merci à Léandra Courbet pour certaines ébauches d'idées.)
(Merci à Léandra Courbet pour certaines ébauches d'idées.)
1 commentaire:
Quel talent, cet Hamilton ! Et quelle clairvoyance !
Pour étoffer ta théorie, notons qu'on peut faire des combinaisons. Par exemple : le sexe avec des scouts à dose homéopathique (les curés dans les mouvements de jeunesse devraient s'en inspirer). Ou : l'alcoolisme en politique à dose homéopathique (Michel Daerden n'en est pas un grand adepte...).
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