mercredi 26 janvier 2011

[MUSIQUE] CAN ou comment deux anciens élèves de Stockhausen, un batteur-métronome et un guitariste prodige fondèrent le plus grand groupe de krautrock du Monde

es albums

Le plus grand groupe de krautrock du Monde ? Bah ! Maintenant que la contrainte du titre est derrière moi, je n’ai plus peur de l’emphase et j’ose le clamer haut et fort : il s’agit du plus grand groupe de rock du Monde, ouais, carrément !

Et tant pis si je reçois des lettres d’insulte (sans doute en partie légitimes et argumentées) de la part de fans des Beatles, des Who, des Stones ou encore du Velvet...  (Hé ! Vous avez vu ? Même si je ne suis qu’un humble pion sur l’échiquier de la vie, je raccourcis le nom de certains groupes de rock pour avoir l’air dans le coup ! Le Velvet. Les Stones... Ce qui est bien avec CAN, c’est qu’on ne s’emmerde pas avec ce genre de trucs d’initiés et qu’on dit simplement : CAN.)

Et tant pis si, quelque part caché dans les confins de l’Univers, il existe un groupe de rock meilleur que CAN. Mon jugement, totalement subjectif au demeurant, ne s’applique qu’au monde connu. (Bah oui, évidemment, mon jugement est subjectif. Je connais des gens très bien – et que j’aime au-delà de leurs choix musicaux, heureusement d’ailleurs – qui me diront que Coldplay ou encore l’ignoble U2 – je vais encore me faire plein d'amis – sont des groupes exceptionnels. Et qui suis-je pour juger ? Un simple pion, une merde de mouche dans le Cosmos, hé ouais... Donc je ne juge pas.)

Ce que je dis n’est d’ailleurs pas tout à fait vrai, je suis vraiment incorrigible ! CAN fut le meilleur groupe du Monde seulement entre 1971 et 1973, époque bénie des albums Tago Mago (1971), Ege Bamyasi (1972) et Future Days (1973). Avant et après cette période, ils furent juste la plupart du temps excellents.

"Krautrock" ?

Mais déjà, c’est quoi ce "krautrock" dont il est question dès le titre ? Hé bien c’est un terme qui englobe, de manière assez large, tous ces groupes de rock allemands qui, à la fin des années 60 et surtout dans les années 70, ont développé une sonorité particulière : du rock progressif ; du rock brut (lo-fi dirait-on aujourd’hui) ; du rock psychédélique (ou kosmische Musik en allemand) ; de la musique électronique (ancêtre de l’ambient). Un mélange savant de tout ça... Des groupes comme Faust, Neu!, Amon Düül II, Ash Ra Tempel... et CAN.

Il faudra d’ailleurs que je revienne sur tous ces gens un jour.
Mais c’est une autre histoire.
Car aujourd’hui, on parlera seulement de CAN.

Et vu que mon objectif est de vous faire découvrir ce groupe en douceur et nullement de vous faire fuir à la première écoute, on écoutera CAN calmement : vingt morceaux significatifs [playlist complète]. Seule exception : je n'ai pas résisté à vous faire écouter ce monument d'improvisation expérimentale qu’est "Aumgn", histoire que vous vous fassiez quand même une idée de la partie plus secrète du groupe. Pour le reste, vous êtes assez grands pour en découvrir plus par vous-mêmes si ces quelques morceaux vous parlent.

Donc, voilà, CAN, c’est avant tout quatre gars très doués : Holger Czukay (bassiste) et Irmin Schmidt (claviériste), qui se rencontrent lors de leçons données par le compositeur Karlheinz Stockhausen ; Michael Karoli (guitariste/violoniste), élève de Czukay ; et Jaki Liebezeit (batteur).

Jaki Liebezeit, "the drummer hero"
(www.spoonrecords.com)


Jaki Liebezeit... Retenez ce nom. C’est un des batteurs les plus exceptionnels de l’histoire du rock. Beaucoup moins connu que Keith Moon ou John Bonham, évidemment, mais tout aussi grandiose ! Liebezeit, c’est le cœur du groupe, littéralement. Parce que c’est lui qui donne le battement vital à l’ensemble. Son style est unique : Liebezeit est un véritable métronome d’une redoutable précision ("mi-homme, mi-machine") mais aussi une "pieuvre" qui arrive le plus simplement du monde à donner vie à des rythmes complexes, évolutifs, proches du jazz, voire du funk. Un batteur-métronome funky qui fait du rock. Un génie, je vous dis ! En fait, Liebezeit est encore meilleur que Keith Moon, mais je dis juste ça pour énerver Hoëlle.

Les autres membres ne sont pas en reste : Schmidt arrive à créer des ambiances incroyables avec ses claviers tantôt nébuleux, tantôt expérimentaux. Czukay ne se contente pas de jouer de la basse en arrière-plan : son jeu "éclabousse" la composition et répond constamment à la guitare de Karoli, qui monte parfois très haut. Très, très haut. 
 

Ne restait plus qu’à trouver un chanteur. Ou plutôt des chanteurs. Le premier sera Malcolm Mooney, un Américain à la voix éraillée, qui arrêtera très vite de jouer sur les conseils de son psychothérapeute, qui lui affirmera que la musique de CAN est très mauvaise pour sa santé mentale (!). Il sera remplacé par Damo Suzuki, chanteur japonais illuminé rencontré dans une rue de Munich. Et puis par d’autres, moins marquants.
 

Les débuts en 1968

Le premier album de CAN, Prepared to Meet Thy Pnoom (1968), ne sortira jamais dans les bacs, faute de trouver un producteur assez malade pour publier un truc pareil. Correction : l’album ne sortira jamais sous ce titre-là et à cette époque-là. Cependant, une partie des chansons se retrouveront en 1981 sur l’album Delay (qui signifie "retard" en anglais). Ce qui veut dire que nous avons la chance aujourd’hui de pouvoir écouter ces premiers "essais".

Et ce premier travail sonne déjà extrêmement prometteur... On sent clairement l’influence du Velvet Underground sur certains morceaux (les guitares sur l’inquiétant "Butterfly" ou sur "Nineteen Century Man" par exemple, ou encore le style vocal de Malcolm Mooney sur "Uphill")... Le son est brut, punk avant l’heure. 

Une autre caractéristique terriblement impressionnante : ces morceaux n’ont pas pris une ride plus de quarante ans plus tard. CAN à cette époque crée des chansons intemporelles. Oh, bien sûr, ils portent des pantalons colorés, ils ont des cheveux longs et des rouflaquettes... Mais la musique, elle, n’a pas vieilli.

Pour s’en convaincre, voici deux chansons extraites de ce "premier album". "Thief" (que Radiohead reprendra sur scène beaucoup plus tard, en moins bien) est une tuerie. Mooney donne tout ce qu'il a dans cette chanson ; la mélodie est superbe, simple, limpide. Assez difficile de croire, à son écoute, qu’elle fut écrite en 1968. Dans un style totalement différent, "Little Star of Bethlehem" est un gros trip. Les paroles sont surréalistes. Mooney les déclame avec une facilité déconcertante et avec un peu d’imagination, on pourrait presque parler de hip-hop avant l’heure, de flow, de groove. Ouaip, CAN arrive à concilier l’intello et le groovy.



Les premières armes : Monster Movie (1969) et Soundtracks (1970)

Un an plus tard, CAN sort son "premier" album, Monster Movie : quatre pistes, qui résument déjà très bien leur style : du rock brut, toujours un peu sous l’influence du Velvet Underground ("Father Cannot Yell", "Outside My Door"), une mélodie épurée presque pop, comme celles que l’on rencontrera plus tard sur l’album Ege Bamyasi ("Mary, Mary So Contrary") et une longue plage plus expérimentale mais pas trop ("Yoo Doo Right").


En 1970, paraît l'album Soundtracks, contenant une série de bandes sons (d’où le nom) de films allemands qui n’ont pas vraiment laissé de trace dans l’histoire du cinéma. Malcolm Mooney apparaît seulement sur deux chansons : "Soul Desert" et "She brings the rain", la dernière de l’album, qui sera l'épitaphe de sa participation à la musique de CAN (exception faite de leur "reformation" en 1989). La mélodie de "She brings the rain" est un peu à part dans la discographie de CAN : l’Américain y chante calmement, à l’instar d’un crooner des années 50. L’album contient également "Deadlock", bande son hallucinée d’un improbable western, la presque pop "Tango Whiskeyman", ainsi que la très relevée "Don’t Turn The Light On, Leave Me Alone", bel exemple de ce que CAN fera par la suite : un rythme chirurgical mais détendu, des guitares très planantes et un Damo Suzuki qui incarne la coolitude absolue (mon amie Léandra devrait apprécier).

 


 


Ah, et enfin, Sountracks contient le premier vrai morceau psychédélique au "long cours" de CAN : "Mother Sky". Cette chanson est sans doute plus difficile à saisir à la première écoute mais elle vaut vraiment le détour. On y retrouve l’infatigable Liebezeit qui tient son rythme tribal pendant plus de dix minutes, une basse et une guitare très actives qui se parlent à coup de solos. À un moment, la basse décole réellement, elle devient aérienne (oui, oui, une basse aérienne !) et très difficile à rattraper. Et puis, il y a Damo, qui a toujours l’air de s’en battre royalement et d’être loin, très loin...



Les trois années suivantes constituent l'apogée de CAN, qui revient avec trois albums exceptionnels : l'expérimental Tago Mago (1971), le sexy Ege Bamyasi (1972) et le brumeux Future Days (1973). CAN aura alors un certain (mais néanmoins modéré) succès commercial, qui n’est rien comparé à l’influence que leurs albums auront sur les trente ans de rock à venir. Beaucoup de choses y sont condensées : les rythmes syncopés des années 80 (ceux de Joy Divison, Echo And the Bunnymen ou The Cure pour ne citer qu’eux), les mélopées planantes des groupes alternatifs des années 1990-2000 (Radiohead aurait-il pu composer "How to Disappear Completely" ou "Like Spinning Plates" si des morceaux comme "Oh Yeah" de CAN – voir plus loin – n’avaient pas existé ?), la déconstruction mélodique (déjà présente en musique contemporaine mais faisant son chemin dans le rock avant-gardiste de l’époque), le rock lo-fi (Sonic Youth...), le punk, le post-rock...

La pierre angulaire : Tago Mago (1971)

Tago Mago est un album déclencheur, séminal, novateur. Deux vinyles, quatre faces donc. Le premier disque est une plongée dans un monde différent mais qui reste structuré : la première chanson, "Paperhouse" commence de manière très pop, mais le batteur et le guitariste nous emmènent très vite autre part. Puis vient la répétitive "Mushroom". On pourrait croire de prime abord que la chanson traite des champignons hallucinogènes. Peut-être mais pas seulement : c’est aussi de la bombe atomique dont il s’agit ici, apparemment. D’ailleurs, "Oh Yeah", le troisième et dernier morceau de la face A, commence sur ce qui ressemble à un bruit d’explosion nucléaire. Tago Mago est une bombe. Et ce "Oh Yeah", quelle chanson ! Deux parties : la première où, au-delà des claviers nuageux d’Irmin Schmidt, le chant de Damo Suzuki passe à l’envers ; la seconde où, par delà des guitares étincelantes, les paroles (pour la plupart en japonais) sont repassées à l’endroit. Le batteur quant à lui, inverse le rythme au milieu de la chanson (quel fou !). 

 


La face B est quant à elle constituée d'une seule piste, "Halleluhwah", qui prépare en douceur l'auditeur au second disque fait d'improvisations sous acide. Sur "Halleluhwah", la rythmique structurée et implacable de Liebezeit rencontre une guitare très groove ainsi qu'une série d'expérimentations sonores de la part de claviers hantés, imprévisibles, incontrôlables...

Le second disque est un voyage dans l'inconnu. On y adhère totalement... ou pas du tout. En tout cas, ce n'est pas la facette la plus évidente de CAN.  Je suppose que l'écoute de ce deuxième vinyle est grandement facilitée par la prise de drogues. Faudra que je demande au fou d'essayer et de me faire un compte-rendu. (Personnellement, n'étant qu'un simple pion, je ne touche pas à ça.) Quoiqu'il en soit, CAN fait très fort. Tout commence avec "Aumgn" (mais où vont-ils chercher leurs titres ?), qui prend toute la face A. Ce long morceau, c'est l'équivalent krautrock de "Atom Heart Mother" de Pink Floyd ou de la deuxième partie de "Moonchild" de King Crimson. Ambiance de forêt hantée... La chose commence sur des lignes oppressantes de guitares aiguisées et se termine sur un rythme tribal. Entre les deux, la voix très lente d'Irmin Schmidt qui ne fait que vocaliser le titre de la chanson en continu. Des claviers improvisés, des mélopées, une batterie en retrait, un chien qui aboie (!), comme dans Animals, mais six ans plus tôt. À chaque fois que j'entends ce morceau, j'y décèle quelque chose de différent. Oui, il faut l'écouter de nombreuses fois pour en comprendre la structure déstructurée (ou alors être stone et ça ira tout de suite mieux).

 


"Peking O", sur la dernière face, continue l'exploration d'un univers inconnu, inconscient... Le morceau mériterait à lui seul une place de choix au palmarès des chansons les plus barrées de tous les temps, catégorie "Asile de fous". C'est à la fois un exercice sur le rythme et les structures du rock, en même temps qu'une terrible improvisation. Le chanteur Damo Suzuki est vraiment taré sur celle-là. Il déclame un texte incompréhensible avec un débit très rapide. Il discute avec les instruments. Il est possédé, vraiment. Ensuite, c'est la descente rapide. Très rapide. La fin du trip. "Bring Me Coffee or Tea", dernière chanson de l'album, symbolise le retour à la normale. On revient au style du premier disque... C'est l'heure du café ou du thé (ce sera un café pour moi, merci). Et l'auditeur, selon qu'il adhère ou pas à ce genre de musique, reste estomaqué par temps d'aisance... ou bien simplement déçu. 



C'est le problème avec tout album exceptionnel : soit on entre entièrement dedans, soit on reste à l'extérieur et on se demande ce que les autres peuvent bien lui trouver...

Deux albums magiques : Ege Bamyasi (1972) et Future Days (1973)

Holger Czukay et Damo Suzuki
(www.spoonrecords.com)


Ege Bamyasi continue sur la lancée de son excellentissime prédécesseur, mais en beaucoup plus "pop" (toutes proportions gardées). À l'exception de "Soup", qui poursuit l'expérimentation, un peu à la manière de "Peking O", les autres chansons sont plus faciles d'accès. Ege Bamyasi ne révolutionne pas la musique de CAN. Au contraire, il la conforte, le plus simplement du monde. Le plus fabuleux dans cet album est cette impression de maîtrise totale des instruments, un sentiment de symbiose : la musique devient un flot, une rivière qui nous entraîne, parfois calme (comme sur "Sing Swan Song"), parfois tumultueuse...

Dans cet album, le jeu de Jaki Liebezeit devient d'ailleurs encore plus "coulant", plus jazzy, plus funky que sur le précédent opus (écoutez "Pinch", notamment). Sur "One More Night" néanmoins, il conserve son statut d'homme-machine. Vers la deuxième minute de la chanson, il intercale dans son jeu de métronome un tempo différent. 

Ce batteur est incroyable, mais je vous l'ai déjà dit, je pense, non ?



L'album contient également deux des courtes mélodies les plus entraînantes de la discographie de CAN : "Vitamin C", avec son bref jeu de guitare aérienne très stylée, hyper-moderne, et le très cool "I'm so green". Ege Bamyasi se termine sur "Spoon", dont le single fut un succès commercial en Allemagne et dont le rythme très spécifique est la combinaison d'une boîte à rythme et du jeu du batteur.




 

Puis viennent, un an plus tard, les brumes élégantes de Future Days. Si Ege Bamyasi est une rivière aux multiples courants, alors Future Days est un lac paisible. Et de ce fait, l'album est beaucoup plus difficile à appréhender, car une écoute distraite aura pour principal effet de donner à l'auditeur l'impression qu'il ne s'y passe pas grand chose. Erreur, erreur ! Cet album est fabuleux, feutré, déroutant, rempli d'expérimentations sonores intemporelles qui sortent d'un chaud brouillard. Sur les quatre titres de l'album, un seul fait exception à cette règle : "Moonshake", qui rappelle le groove d'Ege Bamyasi.



"Future Days", qui ouvre l'album, et "Bel Air", qui le clôt, sont deux chefs-d'œuvre de l'ambient. Damo Suzuki y chante en arrière-fond, d'une voix éthérée et lointaine. Les claviers sont nuageux, sans âge. Chants d'oiseaux, bruits d'eau... La forêt angoissante de "Aumgn" s'est transformée ici en un endroit très accueillant : un chalet, une retraite dans les bois, un lieu de convalescence au bord d'une eau calme... Enfin, "Spray" laisse une grande place à l'improvisation : des mélodies, des rythmes émergent de temps en temps, puis se fondent dans autre chose. "Spray" est un morceau impalpable par excellence et mille écoutes ne suffiront pas à en cerner tous les contours.



Un déclin progressif (1974-1979)

À la suite du départ de Damo Suzuki après l'enregistrement de Future Days, les musiciens de CAN décident de se passer de chanteur et de s'occuper eux-mêmes des voix. C'est  parfois assez réussi, malgré le côté un peu comique des paroles anglaises chantées avec l'accent allemand. Le chant perd par ailleurs le côté halluciné que lui imprimaient Mooney et surtout Suzuki.

Le dernier tout grand album de CAN est à mes yeux Soon Over Babaluma (1974), mais tout ceci, encore une fois, est forcément subjectif. C'est un album assez complexe, mêlant, comme à leur habitude, des morceaux funky ou jazzy (comme "Splash", très free jazz, ou le terriblement prenant "Dizzy Dizzy" qui ouvre l'album, avec Karoli au violon) et des expérimentations, notamment sur  les rythmes (ha, le magnifique "Chain Reaction" où, à 3:45 et 8:05, le rythme est cassé d'un seul coup et passe du chaos à un contrôle presque mathématique). Enfin, "Come Sta, La Luna" est un drôle de tango, sombre et lunaire... Encore cette impression de forêt hantée, au crépuscule (on entend un corbeau croasser, quelquefois).





Après cet album, CAN perdra, à mon sens (et je ne suis pas le seul à le penser), sur beaucoup de morceaux, son côté intemporel en se rapprochant un peu trop du rock progressif "traditionnel", de la musique du monde et du reggae. N'allez pas dire ce que je n'ai pas dit : CAN reste toujours un très bon groupe, capable de fantastiques  instrumentations, de rythmiques primitives particulièrement accrocheuses... Et sa musique continuera d'influencer de nombreux groupes (les Talking Heads,  par exemple)... Mais, personnellement, j'accroche moins. C'est peut-être parce que, étant toujours en avance sur son temps, le son de CAN, à partir de 1975, préfigure une certaine branche de la new wave ou de la world music des années 80, que j'ai un peu de mal à digérer.

Qu'importe ! Après Soon Over Babaluma, CAN sera encore capable de moments vraiment fabuleux. Pour Landed (1975), le groupe composera un morceau-fleuve, "Unfinished", une longue plage instrumentale glaciale. Sur Flow Motion (1976), à côté de certains titres que je trouve assez insipides (comme l'horrible tube disco "I Want More" – m'enfin, c'est quoi ces synthétiseurs ridicules ?), on trouvera un terrible "Smoke (E.F.S. No. 59)" aux batteries inquiétantes.





Sur Saw Delight (1977), un dernier sursaut magnifique avec "Animal Waves" : un voyage planant de plus de quinze minutes, à cheval sur plusieurs mondes... Les nuages de Schmidt croisent des mélodies aux accents plus orientaux, arabes ; les rythmes froids, rapides et chirurgicaux de Liebezeit se mélangent allègrement à des rythmes africains beaucoup plus chauds ; la basse saute dans tous les sens ; les solos de guitare sont aiguisés... C'est la bande son que je choisirais sans aucune hésitation pour illustrer le monde de Dune de Frank Herbert : quand j'entends "Animal Waves", j'imagine presque à chaque fois un fremen voyageant à dos de ver géant sur les sables d'Arrakis. Mais c'est une autre histoire, que je vous raconterai une autre fois. (Faudrait que je pense aussi sérieusement à raccourcir mes posts sur ce blog, tant que j'y suis.)



Sur leurs trois derniers albums, Out of Reach (1978), Can (1979) et Rite Time (1989, marquant le retour très tardif de Malcolm Mooney aux chants), CAN a été rattrapé par le temps et ces trois albums sont en grande partie réservés aux fans purs et durs. L'époque sans âge des Tago Mago et autres Future Days est morte. C'est la vie. Pour clore ce sujet (bien long déjà, arf !), on retiendra un vingtième et dernier morceau : "November" sur Out of Reach, dont je préfère la version intitulée "Mighty Girl", au piano plus prédominant, enregistrée dans le cadre des Peel Sessions (album édité en 1995 et regroupant des morceaux enregistrés entre 1973 et 1976).


En guise d'épitaphe : que sont-ils devenus ?

Michael Karoli est mort d'un cancer en 2001. C'est la vie.
Holger Czukay a débuté une véritable carrière solo (plus de vingt albums !) et est devenu un des pionniers du sampling.
Jaki Liebezeit a joué de la batterie pour de nombreux musiciens dont Depeche Mode (sur "The Bottom Line") et Brian Eno. Plus récemment, il a travaillé avec Burnt Friedman sur le projet Secret Rhythms. Il est plus sage devant ses caisses mais toujours aussi bon !
Irmin Schmidt a continué une carrière solo, composant de nombreuses musiques de films et de séries.
Malcolm Mooney a repris sa vie d'artiste aux États-Unis, participant à de nombreuses expositions.
Damo Suzuki a marié une témoin de Jéhovah et a quitté la musique en 1974. En 1983, il est "revenu" et a fondé son propre groupe  : Damo Suzuki's Network.

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